Jean ECKENDORFF. Recherche d’un tracé de piste…, suivi d'un Journal d’une tournée en brousse en pays Gbaya…

Ekendorff journal 5

Journal rédigé à Bocaranga d’une tournée en brousse en pays Gbaya.

Ekendorff journal 6

Journal rédigé à Bocaranga d’une tournée en brousse en pays Gbaya.

Ekendorff journal 7

Journal rédigé à Bocaranga d’une tournée en brousse en pays Gbaya.

Ekendorff journal 8

Journal rédigé à Bocaranga d’une tournée en brousse en pays Gbaya.

Ekendorff journal 2

Recherche d’un tracé de piste auto entre Ngounye [Ngounié] et les Adoumas.

Ekendorff journal 3

Recherche d’un tracé de piste auto entre Ngounye [Ngounié] et les Adoumas .

Ekendorff journal 4

Recherche d’un tracé de piste auto entre Ngounye [Ngounié] et les Adoumas.


Qui êtes-vous ?

L’auteur : Jean Julien ECKENDORFF (1904-1978). Adjoint des services civils, Élève à l’École nationale de la France d’Outre-Mer*, membre de la Société des Africanistes du Musée de l’Homme à Paris. Administrateur adjoint à Brazzaville (1945).
*Ancienne École Coloniale créée et organisée en 1889 (sise 2, avenue de l’Observatoire Paris VIe).

Jean Eckendorff est le fils de Joseph Julien Eckendorff, courtier de commerce, et de Rose Odile Staltz, sans profession (Registre d’état civil 1E580, n° 780, Rouen).


– Naissance le 11 juin 1904 : 118 rue des Charrettes Rouen.

– Décès le 23 juillet 1978 Rouen.

Adresses répertoriées :

(1) – 8 novembre 1933 : 176 rue des Charrettes Rouen (Cf. un inventaire manuscrit, Musée de l’Homme à Paris, « don de M. Eckendorff », 49 pièces. Source : MNHN, catalogue Calames, cote MH ETHN AFRI 13).

(2) – 28 janvier 1947 : 20 rue Anatole France Rouen (Cf. une lettre dactylographiée signée « Harper Kelley », Musée de l’Homme à Paris, adressée à M. Eckendorff afin de le remercier pour le don de deux pièces du Gabon. Source : MNHN, catalogue Calames, cote 2 AM 1K35a).


Présentation & zone de contexte

L’ancienne Afrique Équatoriale Française (A. E. F.), que recouvrent actuellement les territoires du Gabon, du Congo-Brazzaville et de la République Centrafricaine, est passée, en quelques décennies, d’un État traditionnel, à une économie coloniale moderne et centralisée. Quarante décrets de concession de 1899-1900 devaient permettre l’établissement des compagnies à monopole d’exploitation des « produits riches » (ivoire et caoutchouc) destinées, en principe, à assumer en trente ans les investissements dont l’État français refusait la charge. Après la Première Guerre mondiale, à mesure que l’économie concurrentielle prenait le pas sur le monopole concessionnaire, ainsi que l’essor de « l’okoumé-roi » (une essence forestière) au Gabon, on vit émerger les grandes firmes à venir, se constituer les premières plantations, entrer en exploitation les richesses minières, enfin se mettre en place les principaux travaux d’infrastructures de réseaux (routes et voies ferrées). Précisons que l'abornement et la fixation des frontières a encouragé les chantiers vicinaux de grandes communications et les itinéraires pédestres bien percés et bien construits (routes de brousse) qui se sont ramifiés dans une même unité géographique. Ceux-ci seront suivis ou couplés de réseaux routiers à partir de 1920, afin de parachever la découverte et l'exploitation économique du territoire (voir la première partie du manuscrit Recherche d'un tracé…)

En 1931, l’expansion coloniale française est à son apogée, mais son histoire est marquée par la violence, les crimes, les sévices et par les scandales des sociétés concessionnaires, du travail forcé et du portage (le portage à dos d’homme forcé), engendrant des révoltes et une certaine dépopulation. Ces abus cessent vers 1930 avec le retrait des privilèges des sociétés privées.


Analyse du corpus documentaire et date de composition.

ECKENDORFF (Jean Julien).

UN MANUSCRIT AUTOGRAPHE PERSONNEL signé JECKENDORFF, sur papier, fonctionnaire civil, d’une mission en Afrique équatoriale, Lastourville [Ogooué-Lolo, Gabon] en 1931, suivi d’un précieux Journal (sans titre) ou carnet de terrain rédigé à Bocaranga (Centrafrique) d’une tournée en brousse en pays Gbaya (et autres régions), 1936 avec quelques rajouts in-fine de 1949 (annotations et correction de l’auteur). Notes ethnographiques, écrits intimes et péripéties du voyage, inscrits en des phrases déclaratives et ordonnés en fonction de leur date.

CE PRÉCIEUX EGO-DOCUMENT EST ENRICHI de quelques feuillets isolés (pages de carnets, lettres), documents annexes, addenda au glossaire des langues oubanguiennes, parfois illustrés de croquis et de plans détaillés.


Collation : Après une page de garde blanche, ce manuscrit comprend : Première partie : « Recherche d’un tracé de piste auto… », 21 feuillets non chiffrés de notes manuscrites folio recto & folio verso ; seconde partie sans titre : 48 feuillets non chiffrés de notes manuscrites folio recto & folio verso, enrichis de croquis et de plans à main levée, à la mine de plomb, ainsi que 49 feuillets vierges au milieu et en fin de registre et une page de garde blanche.

Un cahier registre de 118 pages en pleine toile noire petit in-folio à papier réglé au filigrane « Pierre Gilles – Rouen ». Une étiquette publicitaire en papier collée sur le contreplat, avec un encadrement, sur fond bleu ciel, imprimée en noir et rouge : Papeterie Parisienne « Pierre Gilles », 83 rue des Charrettes à Rouen (voir supra). Un bon état général.

Codicologie : Écriture personnelle, épistolaire. Les notes manuscrites personnelles sont rédigées à pleine page (lignes longues), à l’encre bleu-noir et à la mine de plomb folio recto & folio verso. Une cursive parfaitement lisible à la conservation parfaite, inclinée à droite, rectiligne, naturelle et soignée malgré quelques rares ratures et corrections. Quelques ajouts autographes interlinaires et surlignures.  

Le manuscrit est aux dates d’exécution 1931-1934-1935-1936-1937 avec quelques rajouts en 1949 (l’auteur a soigneusement complété ses notes dans son cabinet de travail) et lisiblement rédigés. L’écriture à l’encre de couleur bleu-noir est parfaitement régulière. Le manuscrit comporte plusieurs signatures autographes de l’auteur et ne laisse aucun doute sur l'identité du scripteur.

Format bibliographique : L 31 cm ; l 21 cm

UN MANUSCRIT UNIQUE, COHÉRENT ET COMPLET, SOIGNEUSEMENT MIS AU NET.


Vendu


C’est avec des fatigues infinies et des dangers sans cesse renaissants que Jean Eckendorff a pénétré dans ces pays éloignés que l’on sait avoir été habités par les premiers hommes. Son journal témoigne, sans conteste, du sérieux et de la rigueur dont il a fait preuve dans son travail d’administrateur civil (où il va se donner entièrement à son métier) en Afrique équatoriale. L’homme y est isolé, astreint aux privations, à une besogne parfois difficile et épuisante, toujours ingrate, et cela dans un climat inclément. Avec une continuité de vue qui n'a d'égal que son zèle et son dévouement, son œuvre pacifique, accomplie à force d’énergie, d’habileté, de sens de l'organisation, ainsi que sa compréhension des populations indigènes, mais aussi son caractère impérieux et autoritaire, lui ont permis de réaliser un travail de « ramassage de faits singuliers et curieux », et de rassembler avec méthode ses précieuses recherches afin de conserver dans la rédaction de son journal si précieux une quantité considérable de données factuelles. 


Comment le corpus est-il structuré ?

Un recueil de documents signifiant constitué de deux parties distinctes :

(1) – Il s’agit ici de six copies personnelles de rapports précis et détaillés (numérotés de 1 à 6), correspondance tenant lieu de copies de lettres, ainsi qu'un récit complet de l’administrateur Jean Eckendorff qui a été chargé, par décision de M. Jules Pierre BERNARD, Lieutenant-gouverneur du Gabon, d’une mission de recherche d’un tracé de piste automobile reliant Ngounyé [Ngounié] et les Adoumas.

(2) – [Sans titre] Un précieux Journal manuscrit rédigé au Poste de Bocaranga d’une tournée en brousse en pays Gbaya (Ouest centraficain). L’auteur a recensé auprès des populations les lieux, les noms des clans et sous-groupes et leurs ancêtres principaux. Il contient un ample, unique et précieux glossaire-lexique des langues Adamaoua-Oubanguiennes sous leurs représentations orthographique, phonologique et sémantique, ainsi qu’une une analyse de leurs histoires lointaines, clans, lignages et familles de ces ethnies. La localisation des parlers, les noms de personnes, mais aussi noms de lignages, nomenclature descriptive des clans, des familles serves1, de personnages de contes, mythes ainsi que les noms de lieux (rivières, interfluves, villages, lieux-dits), forment la grande richesse documentaire de cet inestimable corpus.

1. Une pratique africaine traditionnelle ancrée depuis des millenaires. Des familles entières sont les esclaves d’autres familles dirigeantes africaines. 



Première partie

Situation géopolitique : Gabon. Subdivision de Koulamoutou.

Titre : « Recherche d’un tracé de piste auto entre Ngounyé [Ngounié] et les Adoumas » [Gabon].

Un spicilège précis et détaillés (copies personnelles) adressés à M. le Chef de la Circoncription des Adoumas à Lastourville, ainsi qu'à M. le Chef de la Subdivision Mimongo relatant les faits et les conclusions de son travail, de sa mission d'exploration et de la description des grandes régions naturelles.

Les dates :

12, 13, 22, 29 et 30 juillet. 17, 16, 30 septembre. 4, 5, 6-14, 15-23, 26 octobre. 3, 9, 20, 24 novembre. 9, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31 décembre 1931. 1er, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10  janvier 1932.

L’itinéraire peut être ainsi reconstitué :

Gabon. 12 juillet 1931. Reconnaissance du premier tronçon. Départ de Lastourville, arrivée à la subdivision de Koulamoutou (sud-sud-ouest de Lastourville). Un séjour forcé, Eckendorff a une plaie au genou qui nécessite des pansements continuels et interdit la marche. En quittant Koulamoutou l’auteur compte se rendre dans la région comprise entre le grand bassin versant du fleuve Ogooué [province de Ogooué-Lolo] et la rivière Ngounyé son affluent [province de Ngounié], région signalée par l’administrateur des colonies Georges Le Testu2 comme étant réputée très difficile par la configuration du terrain que par l’absence de populations (un périlleux itinéraire de l’Est vers l’Ouest). Une chute malheureuse empêche l’auteur de se mettre de suite au travail. Il ne peut quitter Koulamoutou que le 7 août 1931 pour se rend à Pongoué sur la rive gauche de l’Ogooué. Trois jours de recherches en suivant les pistes de chasse, des sentiers ouverts à la machette et des lits de ruisseaux forcent Eckendorff à ne pas poursuivre dans cette région. Traversée de l’Ogooué. Vallée de la Dibambi. Pour quitter la vallée de l’Ogooué la rivière Dibambi semble utilisable mais son aménagement demanderait d’importants travaux. L’auteur remarque sur une carte de la Ngounyé que la rivière l’Ibiyé est sensiblement parallèle à la rivière Dibambi et qu’aucune grande montagne ne se trouve entre ces deux rivières. Reste à trouver si un passage est possible. La ligne de partage des eaux reconnue mesure 10 km. Arrivée au pied du mont Bouvanza. Le mont Bouvanza semble un obstacle sérieux mais par le Nord un passable est possible. Un tracé semble acceptable malgré les nombreuses difficultés. C’est donc dans cette direction que l’auteur va s’engager. Sur les bords de la rivière l’Ibiyé ; le but d’Eckendorff est de gagner la rive droite de l’Ykoi au Nord de Lidyembo [Lidiembo]. Le problème à résoudre est de quitter la vallée de l’Ibiyé et donc le bassin de l’Ogooué pour rentrer dans celui de la Ngounyé. L’explorateur est retardé par sa santé et par la saison (premières pluies). À sa jambe droite une plaie infectée produit une forte enflure. L’infection résiste aux soins médicaux et s’étend en surface. Eckendorff la cautérise au fer rouge. Chez les porteurs Bakélés (ils sont payés, nourris et reçoivent des soins médicaux) il y a aussi des problèmes. Une rechute de la dysenterie, des abcès divers, une blessure par machette, des plaies aux jambes, des bronchites, une dermatose. Cela fait beaucoup pour une période de trois semaines et sur un effectif de 29 hommes. Étude de terrain : Massif Oudoumenbéla, Dikoutou. Visite à Pongoué à M. le Chef de la Circonscription et préparation de la montée de la Misasi (affluent important de l’Ogooué). Ce passage est impraticable comme un certain nombre de pistes indigènes. Une information intéressante : « J’ai pu me rendre compte que pour marcher dans les sentiers à une allure raisonnable (2 km à l’heure) il me fallait au moins six hommes chargés du débroussaillement. » Ekendorff se met en route de Loumalou le 20 novembre pour arriver à Ghinzambwé le 24. Conclusion : « La recherche d’un tracé est surtout gênée par le manque de visibilité. Ne pouvant rien voir il faut dans les endroits difficiles explorer jusqu’au moindre ravin. Dans les villages habités où les villages et les plantations récentes sont relativement dégagés l’on peut réaliser une économie de temps et de fatigue. Dans la forêt épaisse c’est surtout une question de ténacité et de patience. » En rentrant de la Musasi, Eckendorff est pris d’un violent accès de fièvre et reste plus de dix jours alité. Relevé au 1/25 000 (1 cm = 250 m). Eckendorff assemble ses différents itinéraires tracés sur papier calque pour constituer une carte de la région comprise entre Lidyembo et l’Ogooué. Reconnaissance du second tronçon. 24 décembre 1931. L’auteur quitte Lidyembo par la grande piste jusqu’au village Babini, descend la rivière Mabombwé sur la rive gauche en suivant le sentier de pêche, puis il décide de se rendre au village Ndamba. Sur place, il trouve guides et vivres, puis il traverse la Mabombwé pour entrer dans le bassin de la Bawauni, un affluent de l’Ykoi. Ekendorff décide de traverser l’Ykoi. Pour cela, il fait confectionner un radeau. Le passage de ses charges et de ses hommes a duré de 6 heures à 11 h 30. Campement à l’ancien village Malaughé. Le lendemain, l’expédition traverse à gué, en amont, la rivière Ikobé, remonte la rivière Liwaughon, un affluent de l’Ikobé. Violents orages. Fièvre, difficulté pour reporter ses notes topographiques. Traversée de la rivière Nsonwin et son bassin. Arrivée à la rivière Bauguilé, un affluent de l’Ykoi.

Ainsi s’achève le mémoire de cette périlleuse mission d'exploration à travers le territoire gabonais.

2. Georges Le Testu est l’auteur d'une Notice sur les coutumes bapounou dans la circonscription de la Nyanga, Caen, Imprimerie J. Haulard la Brière, 1914. Une étude portant sur les coutumes et la manière ou non d’appliquer les coutumes punu dans l’administration coloniale au Gabon.


Seconde partie

Situation géopolitique : description circonstanciée. La Centrafrique. Région administrative de Yadé3.

Poste de Bocarangua [Yadé], 27 mai 1934 : « Je me décide à noter au jour le jour les visites que je reçois. Les palabres qui me sont soumis, mes impressions et qui sait ? Peut-être de l’inédit. »

3. Massif de Yadé. Ancienne division administrative. Subdivision créée par arrêté du 12 juin 1931. Elle subsiste jusqu’à l’indépendance dans l’Ouham-Pendé, dont elle suit les évolutions administratives.


Les dates du Journal (copie intime) :

28 mai. 25 juillet. 28 juillet. 29 juillet. 30 juillet. 1er août. 4 août. 6 août. 10 août. 13 août. 19 août. 22 août. 25 août. 29 août (noté 29.8.34). 30 août 34. 10 septembre 34 (noté 10. 9. 34.). 14 septembre 34 (noté 14. 9. 34). 15 septembre 34 (noté 15. 9. 34). 23 septembre 34 (noté 23. 9. 34). 9 octobre 34 (noté 9. 10. 34). 23 octobre [34]. 27 octobre 34 (noté 27. 10. 34). 05 novembre 34 (noté 5. 11. 34). 1er décembre 1934. 6 décembre 1934. 31 janvier 1935. 4 mars 35 (noté 4. 3. 35). 10 avril 1935. 10 mai 1935. 4 juin [35]. 8 juin 35. 3 juillet [35]. 14 juillet 35. 15 août [35]. 22 août [35]. 5 septembre [35]. 27 octobre 35 (noté 27. 10. 35). 27 novembre 1935 (noté 27. 11. 1935). 28 novembre 1935 (noté 28. 11. 1935). 2 décembre 35 (noté 2. 12. 35). 21 décembre 35 (noté 21. 12. 1935). 25 janvier 1936. 14 mars 36 (noté 14. 3. 36). 6 juillet 36 (noté 6. 7. 1936). 21 juillet 36 (noté 21. 7. 36). 28 juillet 36 (noté 28. 7. 36). 5 août 36 (noté 5. 8. 36). 4 septembre 36 (noté 4. 9. 36). 20 septembre 36 (noté 20. 9. 36). 30 septembre 1936. 31 octobre 1936. 10 décembre 1936 (noté 10. 12. 1936). 12 décembre 1936 (noté 12. 12. 1936). 13 décembre 1936 (noté 13. 12. 1936). 29 janvier 1937 (noté 29. 1. 1937). 1 février 37 (noté 1. 2. 37). 18 avril 1937 (noté 18. 4. 1937). I. 1949.


Quelques extraits ou phrases truculentes ou dramatiques :

Comme de juste, la syntaxe ainsi que les tours de phrase de l’œuvre originale ont été respectés.

(1) – 28 mai. « Ce matin temps désagréable au possible. Il pleut, il fait froid. Bocarangua est triste sous la pluie et le travail n’est pas possible. Ce n’est pas la peine de se lever. Je reste au lit jusqu’à 8 heures. À 9 heures le temps s’éclaircit, les visiteurs rappliquent. Meddji Owa revient avec un Haoussa qui doit justifier de la façon dont il a recruté des nombreux boys, deux seulement sont recensés, 4 sont à la boîte, dont deux sont originaires de Paoua et deux de Bosangoa. 25 frs d’amende à l’Haoussa avec annonce solennelle que le prochain Haoussa pris en défaut au sujet de sa boyerie rentrera en prison. »

(2) – 13 août. « Village de Boyaÿ Lim. Hier soir interrogatoire d’une femme qui a été violée par le GR Bikoto, est venue se plaindre au Poste et à son retour au village a été fort maltraitée par Bikoto. Ce salaud-là a été jusqu’à lui verser de l’eau pimentée dans le vagin. »

(3) – 19 août. « Je n’ai guère en ces jours-ci le temps de noter quoi que ce soit. Les retours de tournée sont ainsi, du travail par-dessus la tête. Aujourd’hui je transfère à Sezoum Coyaguélé et 2 de ses acolytes qui avaient massacré une femme réputée comme sorcière. Avant de quitter Bocarangua Coyaguélé me propose de donner une jeune femme aux parents de la victime en compensation et pour finir le palabre. » 

(4) – 10. 9. 34. « Je viens de faire ces jours-ci la brousse entre le Pont de la Pendé [région de l’Ouham-Pendé] et Kolo et de Kolo à Bougaranga Doka. Ce sont mes premiers recensements en pays Gbaya* et je suis étonné d’avoir obtenu aussi facilement les noms de clan. Ce sera un assez long travail que de les grouper tous pour connaître les ancêtres principaux. Je suis assez heureux de voir que c’est au fond la même organisation que chez les Baucabi. Quelques grands ancêtres donnant naissance à un assez grand nombre de clans qui se subdivisent eux-mêmes en familles libres (Béwan en Gbaya) et en familles serves (Bésaug, en Gbaya = petit fils doux euphémisme employé pour atténuer la rudesse de Bébara, enfant d’esclave). »

(5) – 23 octobre [34]. « Me voici à Ralampana au pied du Sikoum [mont Sikoum]. J’ai passé la journée d’hier à Koupi chef Gawala où depuis un mois il y a bien eu 30 décès causés par la disette et ce dut être pour les pauvres trépassés une cruelle ironie que de mourir de faim à côté de vastes plantations de mil aux épis déjà fermés. Ce matin Likoum là aussi quelques décès. À Koupi que j’avais déjà secouru de tsâf (le kâf « standard » se palatalise en « ts » chez certaine tribu), j’ai ordonné au chef de vendre son cheval. Avec cet argent et ce qui lui reste il pourra acheter du sel et envoyer des hommes bien encadrés à Kounnaug troquer cette denrée estimée des Pana contre du manioc. Je dis de bien les encadrer car en égoïstes qu’ils sont les envoyés sont fort capables de rester tranquillement à Kounnaug et d’y vivre tant que durerait le sel ou l’argent de la commune. À Likoum je remets 30 francs en avance sur son coton cela fait un sac de sel et 30 ou 35 paniers de manioc. Je lui donne gracieusement 30 coups de chicote pour lui apprendre à mieux préserver ces hommes de la faim. À Ralampana même avance et un cadeau pour les mêmes motifs. »

(6) – 27. 11. 1935. Voir ce chapitre fort intéressant narrant l’histoire d’une femme nommée Kogélé et de sa famille du village Ngolé à Lim (commune rurale). Son mari Laokara s’est enfui de Bocoranga pour le Cameroun, au village Tinvuy (?), en mars 1935. Elle-même et ses six enfants l’ont accompagné dans sa fuite. Se croyant tranquilles et libérés de la contrainte qui à Bocaranga les forçait à travailler, ce bonheur devait être troublé par l’arrivée au village de cavaliers belliqueux venus de Reï Bouba (région nord du Cameroun) et conduits par leur terrible chef Isa. Ils se saisirent de Kogélé et de ses enfants mais ne purent arrêter Laokara qui se sauva. Kogélé fut mise en esclavage. Promis à la vente puis au servage, les pauvres enfants de Kogélé ne durent leurs vies sauves que par les ordres explicites d’Eckendorff et la délivrance d’un laissez-passer où était inscrit le but du voyage, à un homme nommé Ngolé, afin d’aller récupérer les progénitures.

(7) – 28. 11. 1935. « Le corbeau noir & blanc = Pana : Nbugā. Les femmes n’en mangent pas de peur de n’avoir plus d'enfants. Les très vieilles femmes en mangent. »

(8) – 25 janvier 1936. Nous remarquons une notule en marge datée 11 9 68. Une graphie au stylo à bille Bic Cristal encre de couleur bleu-noir. Cette notule confirme une nouvelle fois que l’auteur a soigneusement complété ex situ ses notes.

(9) – 5. 8. 36. En Kani femme putain « Wēy gmēy ». Enfant de la femme putain « Gun Nbana ».

(10) – 20. 9. 36. « gun à Pokolo. Dans certains ruisseaux des femmes auraient entendu des pleurs d’enfants et aussi le hū ! hū ! de la mère qui calme son gosse. C’est un gun à Pokolo qui cherche à s’incarner dans un ventre de femme. Lorsqu’une femme accouche d’un enfant très difforme, ou auquel il manque un bras, une jambe, (en somme d’un phénomène), les gens ont peur de s’approcher de la case où la mère se trouve avec le nouveau-né. Le plus souvent ce phénomène est enterré vivant à grand renfort de démonstrations, tambours battants et sagaies brandies. Le gun à Pokolo ainsi enterré rôde, (lui ou son wun), ensuite dans certains ruisseaux pour chercher à s’incarner de nouveau. Certains ruisseaux sont interdits aux femmes pour cette raison. »

(11) – 30 septembre 1936. Une légende commune au Mbum et aux Pana signale le passage dans la vallée de Mbéré d’une race d’hommes très forts et très grands venus des savanes du nord. Les gens disent que le chef de ces géants pouvait abattre un gros arbre d’un seul coup de son « ha » (couteau multipointes dit couteau de jet). »

(12) – 31 octobre 1936.  « …[Au] village Bumāri Sautiwan. À ma question : qui a fait Buzogwey Bumāri ? Mbowē [un vieil homme Gbaya] répond : “ Basō ” Dieu, et il précise bien Dieu a fait la terre, l’eau, les hommes. Et où pose-t-il ? “ Ndor Zan ” au bout du ciel. Je demande alors : qui a fait les blancs ? Mbowē répond évasivement que je fais traduire par interprète yandia [nom]. Si ce n’est pas le bon Dieu, c’est peut-être le Diable ? Et mon interprète de traduire Diable par “ Dangsō ”. Je demande alors : Qui est “ Dangsō ” ? La réponse est : celui qui abime tout. »

(13) – 12. 12. 1936. « … [Au] village [des] Bugang chef Dogari […] Je demande à Dogari s’il avait entendu dire que jadis à la mort du chef de la famille noble du clan il était d’usage de sacrifier [par décollation] un esclave ou un homme de chaque famille serve dont les cadavres étaient enterrés avec le chef. Dogari m’affirme qu’il l’a entendu dire, et le jure en frappant le bras avec un couteau en disant : que je meure si ce n’est pas vrai. »

*Le gbaya appartient au grand groupe linguistique Gbaya-Mandja-Ngbaka qui s’étend sur trois pays d’Afrique centrale : la République centrafricaine, le Cameroun et la République démocratique du Congo. C’est une langue oubanguienne du sous-groupe « Adamawa oriental » (Phylum Niger-Congo), qui est parlée par environ 500 000 personnes. La majeure partie du territoire des Gbaya se situe à l’ouest de la République centrafricaine, le reste, soit un cinquième environ, est au centre-est du Cameroun. Les Gbaya sont des chasseurs cueilleurs cultivateurs. Ils vivent dans une savane verte dont ils connaissent et exploitent parfaitement la faune et la flore.


Pour résumer cette pièce d’archive : Le contenu de ce manuscrit renferme un travail qui coordonne un ensemble d'observations, scientifiques ou non, de linguistique descriptive ou non, et d'enquêtes de terrain, ayant pour vocation de se mettre au service de la documentation, de la description et de la sauvegarde des variétés des langues de la branche occidentale du bantu. Étude méthodique, travail de « ramassage de faits singuliers et curieux », tableau d'un écoumène parfois harmonieux et équilibré, parfois brutal, ce précieux manuscrit de notes, résultat de nombreux travaux compilés de l'administrateur, apporte une sérieuse contribution à l’étude comparative des langues makaa-njem, ainsi qu’à la recherche scientifique sur les langages, les langues, les mœurs et les cultures d'Afrique noire.



BIBLIOGRAPHIE

– Jean Julien ECKENDORFF, Les Okota : leur tradition... la tradition ; Technique du feu chez les banzabi et les bawandji ; Les Boekwel ou bakwele ; Origines des banzabi…, S. l., s. n., s. d., texte imprimé, cote : 305.8 ECK, Médiathèque de l’Institut français du Gabon.

– Jean Julien ECKENDORFF, Les Boekwel ou Bawélé, notes dactylographiées, 1945, inédit, non pubié. En 1945, Eckendorff comptait 4 000 Bekwel au Gabon (source : Sorosoro).

Paulette ROULON-DOKO, Dictionnaire gbaya-français (République Centrafricaine), suivi d’un dictionnaire des noms propres et d’un index français-gbaya, Paris, Édition Karthala, 2009.
Ce dictionnaire gbaya-français est le résultat de près de quarante années de travail sur la langue et la culture des Gbaya’Bodoe. Il est fondé sur le dépouillement de très nombreux textes in-situ et révèle une connaissance approfondie de cette culture centrafricaine, et de la langue dans laquelle celle-ci se vit.


AUTRES EXEMPLAIRES conservés dans les fonds d’archives ou bibliothèques publiques :

– Archives nationales : Néant.

– Archives nationales, Section Outre-mer, ville d’Aix-en-Provence : Néant.

SHD (Service historique de la Défense) : Néant.

– Académie des sciences d’outre-mer : Néant.

– La Société de Géographie de Paris : Jean Eckendorff n’est pas signalé dans la table générale des matières du Bulletin de la Société de Géographie.

Provenance :

Une collection privée française.



Oubangui-Chari ou la République centrafricaine

La Centrafrique, deuxième pays le moins dévéloppé au monde selon l'ONU, est le théâtre depuis 2013 d'une guerre civile très meurtrière.

Micro-histoire

Le territoire de l’Oubangui-Chari est séparé du Congo français par le décret du 29 décembre 1903. Il est divisé en trois régions militaires par arrêté du 20 juillet 1904, modifié le 31 août : Krébedjé-Gribingui, Haut-Oubangui et sultanats, Bangui. Les territoires de l’Oubangui-Chari et du Tchad forment une entité administrative jusqu’à l’érection du Tchad en colonie le 17 mars 1920. L’arrêté du 29 septembre 1909 détermine quatre circonscriptions civiles (Bangui, Kémo, Ouham et Gribingui) et trois circonscriptions militaires (M’Bomou, Haut-Oubangui et Dar-Kouti). De nombreuses réorganisations interviennent avant celle du 1er décembre 1919 portant le nombre des circonscriptions à dix. Le Moyen-Logone et le Moyen-Chari sont détachés du Tchad et rattachés à l’Oubangui-Chari par arrêté du 31 décembre 1925 (jusqu’en décembre 1936). La Lobaye (Moyen-Congo) rejoint la colonie en 1932. La colonie est divisée en six départements le 15 novembre 1934, puis en dix le 28 décembre 1936. La Haute-Sangha est rattachée à la colonie en 1939. Le 12 mai 1944, la Ouaka, la Basse-Kotto et la Haute-Kotto sont réunis en un seul département, la Ouaka-Kotto (jusqu’en avril 1951) ; le Bas-M’Bomou et le Haut-M’Bomou constituent le M’Bomou. Le décret du 29 décembre 1946 renomme les départements en régions et les subdivisions en districts. En 1958, ce sont : Bouar-Baboua, Kémo-Gribingui, Basse-Kotto, Haute-Kotto, Lobaye, M’Bomou, Ombella-M’Poko, Ouham, Ouham-Pendé, Ouaka et les districts autonomes de Birao, N’Délé et Zendé (Zandé). Capitale : Bangui.