Le capitaine PATART. Un album photographique sur le Japon Impérial de l’ère Meiji (1898).

Une mission française militaro-commerciale.

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Avant-Propos

Je tiens, dès l’abord, à remercier tout particulièrement ma charmante épouse Naomi pour sa gracieuse collaboration. Les recherches historiques qu’elle a menées dans son beau pays natal, le Japon, ont préparé et facilité le travail que je traite ici et m’ont aidé à comprendre l’origine de ce corpus photographique. Je la remercie pour son concours, qui ajoute une véritable valeur à mes observations personnelles. Qu’elle trouve ici le témoignage de ma profonde reconnaissance.


PATART (Le capitaine d’artillerie Henri-Louis-Auguste, 1867-?).

Une mission française militaro-commerciale dans l'« empire du Grand Japon ».


Un album de photographies sur le Japon Impérial de l’ère Meiji (1898) composé de quarante photographies originales contrecollées sur cartons et montées, à l’origine, en leporello. Cette collection homogène semble avoir été l’objet d’une sélection minutieuse des clichés. Le développement et le tirage photographique ainsi que la création et le montage de l’album ont été réalisés au Japon. Les tirages photographiques sont d’une grande fraîcheur, elles présentent une excellente netteté, un beau glaçage, une bonne valeur (nuances de gris) et une forte densité (noir). Le corpus est conservé dans une boîte à chasses d’archive en pleine toile noire.

L’album est complet des 40 épreuves photographiques de références originales contrecollées sur 20 cartons rigides à grammage élevé de couleur blanc-ivoire. Notons l’absence d'information, de nom de Photographe-Éditeur, de cartouche, de légende et de numérotation des photographies.


Format in-12° oblong.

Dimensions de l’album : L 15 cm ; l 12 cm ; H 3 cm

Format des épreuves : L 11,5 cm ; l 8,5 cm et L 8,5 cm ; l 6 cm


PROVENANCE : Le capitaine Henri PATART à Monsieur YAMADA Tadazumi, Consul du Japon à Lyon.

Cet album a été offert par Henri Patart à Monsieur YAMADA Tadazumi, diplomate japonais natif de Nagasaki, nommé dans les années 1890 par l’empereur Meiji, Consul du Japon dans la capitale française de la soie, Lyon (où il fera la connaissance de sa future épouse lyonnaise Marguerite Varot), et chargé d’y développer les ventes de ce qui était alors le premier produit d’exportation du Japon, la soie grège de haute qualité.

Au verso du premier plat de l’album on peut lire une dédicace manuscrite à la plume signée et datée : juin [18]98

« À Monsieur Yamada [/] en souvenir de ses bonnes leçons [/] de japonais [/] juin 98 [/] H. Patart »

Nota bene : L'analyse critique et le regroupement de documents d'archives similaires ont prouvé l'origine et ont mis en évidence la provenance du corpus, mais il s'agit, ici, plus d'observations critiques sur les caractéristiques essentielles du sujet que d'une étude scientifique poussée, laquelle reste, au deumerant, a mener.



Henri PATART

Cette archive de terrain, unique, a été composé par Henri PATART, capitaine d’artillerie de réserve, en poste au Japon dès 1896, en qualité de sous-directeur d’artillerie pour la firme française Schneider & Cie fondée au Creusot (Saône & Loire) puis Schneider-Canet après fusion des deux firmes, pour la production d’armement. Les photographies de sa rare collection documentaire reproduisent ce qu’il a vu de ses propres yeux et porte un éclairage singulier sur ce que fut l'action française au Japon. Il ne s’agit pas, ici, d’un livret publicitaire, composé par un photographe de métier, vantant les mérites d'un produit innovant. Remarquons, également, qu’à cette époque la prise de vue par les voyageurs reste une pratique minoritaire et hasardeuse. Se charger d’un équipement lourd et encombrant alors que le transport est rudimentaire et le cheminement à l’intérieur de la contrée malaisé reste une exception y compris pour les Européens rompus à la pratique photographique.


Un ensemble d’épreuves photographiques rarissimes sur papier aristotype, dignes d’intérêt, concernant l’armée impériale japonaise. Un précieux témoignage photographique de l’unité d’artillerie à pied de l’armée de Terre japonaise, lors de grandes manœuvres ; exercices militaires, séances de tirs d’essais, tests comparatifs de différents types de canon (affût de campagne, canon de montagne), ainsi que des tests de mobilité1 et de résistance pour le transport du matériel et de l’équipement attelés aux voitures-caissons (coffres à munitions) dans des environnements réputés difficiles (le redoutable chemin pierreux de communication intérieure entre la ville de Mishima et la ville d'Hakone2), en vue d’acquérir de nouvelles pièces d’artilleries occidentales afin d’équiper l’armée japonaise dans sa modernisation intense. Des vues d’extérieures, de sites ainsi que des paysages comme les rives du lac Ashi, complètent cet ensemble iconographique.

1. La mobilité dépend du poids de chaque voiture chargée et du nombre de chevaux attelés à chaque voiture.
2. Un segment de route pédestre réputé pour être l’un des plus difficiles de la longue voie de Tôkaidô qui relie la ville de Tôkyô à la ville de Kyôtô. En effet, malgré les progrès réalisés après 1870 dans la fabrication d'un acier spécial (trempé et recuit), leur poids forcement élevé, ne permettait pas de donner aux matériels de campagne une mobilité suffisante.


Présentation & zone de contexte

Ce corpus photographique se situe dans le contexte de l’après-guerre sino-japonaise (1894-1895) et dans un contexte particulier de coopération stratégique et transferts cruciaux de méthode moderne et technologie militaire de la France au Japon (1868-1930). L’action française dans ce domaine fut majeure.
À la fin du XIXe siècle, les grandes puissances militaires européennes sont en concurrence pour le développement d’un canon à tir rapide d’une grande portée et d’un puissant effet.
À cette même époque, le Japon en pleine révolution industrielle, poursuit sa politique de développement économique et entre dès lors dans une phase d'expansion accélérée qui se traduit rapidement par l'enrichissement du pays et le renforcement significatif de l'armée sous le slogan « un pays riche, une armée forte » (fukoku kyôhei). Graduellement, l'armée nippone se modernise et désire doter son artillerie légère d’un canon à tir rapide plus performant que son modèle Type 16* de 75 mm (cf. JACAR, cote : C03023035300). Pour fournir l'équipement moderne nécessaire à sa jeune armée, les étrangers, notamment les Allemands et les Français, furent à nouveau sollicités et utilisés afin d'introduire les nouvelles techniques militaires occidentales.

 

 

– JACAR : Japan Center for Asian Historical Records, National Archives of Japan (digital archive provided by National Archives of Japan, the Diplomatic Archives of the Ministry of Foreign Affairs of Japan, and the National Institute for Defense Studies of the Ministry of Defense of Japan).
*Les pièces de Type 16 de 75 mm (16 pour la 16e année de règne de l’empereur Meiji, empereur du Japon) ont été adoptées par l’armée impériale japonaise en 1883. Elles commencent à être remplacée à partir de l’année 1898 par les pièces de Type 31 Arisaka de 75 mm (canon [tube en acier, construction modulaire, nouvelles munitions]), mises au point par le lieutenant-général de l’armée impériale Arisaka Nariakira (1852-1915).


Comment le corpus est-il structuré ?

40 prises de vue sur papier aristotypes à la gélatine prises sur le vif qui offrent une impression d’instantané, dans les régions comprises entre Mishima et Hakone. Un recueil signifiant constitué de deux séries distinctes. Chaque série, folio recto et folio verso, comporte chacune 20 photographies comme suit :

Première série

Grandes manœuvres et pièces d’artilleries : tirs d’essais (télémétrie, pointage puis l'ordre de feu donné par l'officier de tir de la batterie, vitesse initiale, distance, justesse en direction), artilleurs à pieds en tenue d’exercice, servants ou peloton de pièce en uniforme blanc d’été, ceinturon noir avec baïonnette, bottes noires.

– 16 clichés représentent en exercice de tirs le canon de 75 mm de campagne, Schneider-Canet, Type léger sur affût à frein hydropneumatique, modèle 1898.
– 4 clichés représentent en exercice de tirs le canon de 75 mm de montagne, Schneider-Canet, sur affût à frein hydropneumatique, modèle 1898.

Seconde série

Vues d’extérieures et paysages du Japon : groupes d’hommes en réunion ou en marche, batteries de canons, artilleurs à pieds en uniforme bleu-nuit d’automne, bottes noires. Les paysages photographiés sont : Un village (non identifié) sur la route de Mishima à Hakone, ainsi qu'un gîte d'étape sur les rives du lac Ashi. La population locale est informée des conditions d'exercice par la presse régionale.

– 8 clichés représentent le transport du matériel et de l’équipement attelés aux voitures-caissons coffres à munitions dans divers environnements.
– 9 clichés représentent le matériel et de l’équipement attelés aux voitures-caissons à munitions, groupes d’hommes en réunion, batteries de canons, en divers lieux.
– 3 clichés représentent des vues d’extérieures, de sites ainsi que des paysages.

Les tests de mobilité et de résistance pour le transport du matériel et de l’équipement attelés aux voitures-caissons à munitions se sont déroulés du 19 au 24 octobre 1897 dans la région d'Hakone comme suit :

– 19 octobre, départ de Tôkyô arrivée à Mishima.
– 20 octobre, départ de Mishima arrivée à Hakone.
– 21 octobre, séjour à Hakone.
– 22 octobre, départ d'Hakone arrivée à Mishima.
– 23 octobre incident, obstruction du passage près de Mishima.
– 24 octobre, départ de Mishima arrivée à Tôkyô

(Cf. JACAR, cote : C10061199100).



Affectations et mobilisations de l’officier Henri-Louis-Auguste PATART

Résumé des notes particulières administratives (sources BL et SHD).

Services et positions diverses

Capitaine de l’armée active démissionnaire en 1897. Promotion 1884 à l’École polytechnique. Noté comme très instruit, intelligent, travailleur. Ingénieur à la maison Schneider & Cie. Monte à cheval. Chevalier de la Légion d’honneur par décret du 18 avril 1921.

Services militaires

Sous-lieutenant d’artillerie 1886-1888. Lieutenant d’artillerie 1888-1895. Capitaine d’artillerie 1895-1897. Capitaine de réserve 1897-1906. Mobilisé le 30 juillet 1914. Rappelé du front le 25 septembre 1914 par le ministère de la Guerre pour les fabrications intéressant la défense nationale.

Services civils

Ingénieur aux établissements Schneider & Cie pour missions d’artillerie à l’étranger 1895-1901. Sous-directeur de l’artillerie aux établissements Schneider & Cie de 1901-1906. Directeur des affaires d’Amérique des établissements Schneider & Cie 1906-1908. À la Compagnie des Forges & Aciéries de la Marine et d’Homécourt 1913-1915.

Missions à l’étranger

Japon1 1896-1898. Belgique-Roumanie 1899. Russie 1900. Mexique 1901-1902-1903. Argentine-Uruguay-Brésil 1906-1908. Roumanie 1914. Russie2 1917-1918

Durée totale des services civils et militaires : trente-cinq années.

Détails sur les services extraordinaires rendus par l’officier PATART

L’officier Patart a effectué, depuis 1896, sous la haute direction du ministère des Affaires étrangères et pour le compte des établissements Schneider & Cie et des aciéries de la Marine de nombreuses et importantes missions à l’étranger pour représenter l’industrie de matériels de guerre français dans sa lutte contre l’industrie allemande, en particulier contre la maison Krupp, et a réussi dans la plupart de ces missions à faire triompher l’industrie française.

1. Une note particulière d’un feuillet personnel (dossier militaire Vincennes) en date du premier semestre 1897 nous informe : « Le capitaine Patart après avoir obtenu une première prolongation de congé de six mois, vient pour raison de santé, d’en obtenir une seconde. Il est malade à l’hôpital de Yokohama (Japon). »
2. Une périlleuse mission en Russie pour la réorganisation de la direction des usines franco-russe à Petrograd [Saint-Pétersbourg] qui avaient de nombreuses fournitures de matériels de guerre et de munitions.


Le premier plat ou plat supérieur décoré en laque rouge

Le premier plat en laque rouge sur bois de l’album a été conservé. Sur ce plat est dessiné un paysage japonais avec un prunier dont les fleurs surdimensionnées peintes remplissent une grande partie de la composition picturale. À côté du prunier poussent quelques fleurs et en premier plan, trois grues cendrées (tsuru), dont l’une en vol, un oiseau porte bonheur et auspicieux par excellence. Au pied de l’arbre coule une rivière. Deux bambous et un tapis de fleurs peint de couleur or qui, comme le prunier, rappelle le style d’Ogata Kōrin (1658-1716). Une décoration sobre et raffinée qui évite le mont Fuji-san généralement omniprésent dans les albums souvenirs de Yokohama pour les occidentaux. Les décors floraux sur fond de laque rouge étaient fréquents dans les luxueux albums vendus par le studio K. Tamamura (Tamamura Kozaburo [1856-1923 ?]), qui fut l’un des photographes de Yokohama les plus productifs et les plus prospères de son époque.


BIBLIOGRAPHIE

– BL [Base Léonore (Légion d’honneur)]. Archives nationale ; site Pierrefitte-sur-Seine : cote 19800035/1179/36474 . Dossier Légion d’honneur de Henri-Louis-Auguste PATART.

– SHD (Service historique de la Défense) : cote GR 5Ye 148487. Dossier d’archives de Henri-Louis-Auguste PATART.

– JACAR : Japan Center for Asian Historical Records, National Archives of Japan (digital archive provided by National Archives of Japan, the Diplomatic Archives of the Ministry of Foreign Affairs of Japan, and the National Institute for Defense Studies of the Ministry of Defense of Japan).

– Rotem Kowner, Historical Dictonnary of the Russo-Japanese War, Second édition, New-York, London, Rowman & Littlefeild, 2017.

– Christian Polak, Sabre et Pinceau par d'autres Français au Japon. 1872-1960, Chambre de Commerce et d'Industrie Française du Japon, Hachette Fujingaho, 2005. La modernisation de l'Armée et de la Marine impériales par la France sous la plume de l'un des meilleurs spécialistes du sujet.