BAUDELAIRE. Les Fleurs du Mal

L'exemplaire d'Édouard GOEPP, collaborateur et ami proche de Charles Baudelaire.

Baudelaire goepp 4

Un précieux exemplaire enrichi d'un billet signé de Charles BAUDELAIRE à son ami Édouard GOEPP.

TRANSCRIPTION DACTYLOGRAPHIQUE :
« Mon cher Goepp, M. Lavieille va faire le 21, comme je vous l’ai dit, une exposition et une vente de ses oeuvres. D’après ce que vous m’avez dit, j’ai osé compté que la Revue Européenne, lui ferait la gracieuseté d’une note et d’une annonce. Dont à vous ; je connais votre obligeance ; d’ailleurs vous connaissez le talent de M. Lavieille. Ch. Baudelaire »


Baudelaire goepp 1


BAUDELAIRE (Charles).

Les Fleurs Mal

Paris, Poulet-Malassis Et De Broise, Libraires-Éditeurs, 1857.

[Alençon – Imprimerie de Poulet-Malassis Et De Broise]. Marque de l'éditeur imprimé en rouge.


In-18° Jésus ; 2 feuillets non chiffrés [faux-titre et titre imprimé en rouge et noir]-248 pp. [y compris le feuillet de dédicace à Théophile Gautier] et 2 feuillets non chiffrés in-fine [Table].

Un plein maroquin noir janséniste, dos à nerfs pincés* chiffré en pied, titre or poussé au dos, doublures et gardes de box couleur parme, non rogné, tranches dorées sur témoins, GRANDES MARGES, couvertures éditeur conservées, un étui bordé, une belle et fine reliure signée « [Henri] MERCHER, 1967 », portant l'ex-libris de Georges Hugnet.

Cette belle reliure a été réalisée d’après les indications de Georges HUGNET et elle est contresignée (lettre or frappées en pied) de son nom : « Georges HUGNET ».

*On admire tout particulièrement le pinçage des nerfs et le façonnage des coiffes faisant du livre un objet précieux.


Ce précieux exemplaire est enrichi d’un billet autographe signé de Charles Baudelaire, un feuillet in-octavo carré. L'adresse municipale du destinataire est au folio verso. Le billet est monté sur un onglet. Il est adressé au journaliste et homme de lettre Léopolde Édouard GOEPP ; Charles Baudelaire le prie de bien vouloir rendre compte, comme convenu entre eux, de la prochaine exposition de leur ami commun le peintre Eugène Lavieille (1820-1889) dans la Revue européenne (cf. : Charles Baudelaire, Correspondance, Paris, Gallimard, 1973, t. I, p. 648, confirmé par Claude Pichois & Jean-Paul Avice, in : Dictionnaire Baudelaire, p. 214).

L'adresse postale :

« Monsieur Goepp, Directeur de la revue Européenne, Rue de Berlin »

Une date est mentionnée sur le document. Elle est notée perpendiculairement à l'adresse postale, à la plume, encre sépia : « 1859 ».

La rue de Berlin VIIIe et IXe Arrondissement n'existe plus à Paris, et ce depuis 1914 (hostilité ressentie envers l'Allemagne). La rue de Berlin ainsi que la station de métro Berlin seront rebaptisées Liège en hommage à la résistance du peuple liégeois devant l'avancée allemande.


Vendu


ÉDITION ORIGINALE TIRÉE À 1 100 EXEMPLAIRES SUR PAPIER VÉLIN D’ANGOULÊME, soit 1 100 exemplaires (en réalité 1 300 ex. car 200 exemplaires de passe furent imprimés en plus du contrat), en plus des 20 exemplaires (23 précisément) sur papier vergé de Hollande tous distribués par l’auteur.

Le propre exemplaire de Charles Baudelaire, conservé à la Bibliothèque Mazarine, était l’un de ceux imprimés sur papier commun de l’éditeur, c'est-à-dire, un exemplaire imprimé sur papier vélin.

Exemplaire complet des 6 pièces condamnées en jugement de 1857 qui furent expurgées de nombreux exemplaires. Elles sont : « Les Bijoux », « Le Léthé », « À celle qui est trop gaie », « Lesbos », « Femmes damnées » (« À la pâle clarté… »), « Les Métamorphoses du vampire ».

Caractéristiques et fautes typographiques permettant de discerner cet exemplaire :

  • La faute : « Feurs du Mal » pour « Fleurs du Mal » au titre courant des pages 31 et 108.
  • Erreur de pagination : la page 45 est paginée 44.
  • La faute au premier vers de la p. 201 : « captieux » pour « capiteux ».
  • La rarissime faute « s’enhardissent » pour s’enhardissant », deuxième vers de la dernière strophe à la page 12 est ici corrigée comme souvent.
  • L'espace entre le chiffre indo-arabe « 4 » et la virgule dans l'adresse de Poulet-Malassis Et De Broise sur la page de titre.
  • Au folio verso du faux-titre : La présence d'un espace entre « Ils poursuivront » et la virgule qui le suit.

La couverture jaune imprimée en noir est du premier type (5 fautes), rare. Elle est décrite par Léopold Carteret [de Robert Desprechins dans « Le Livre et l'Estampe », n° 47-48, Bruxelles, 1966], in : Le Trésor du Bibliophile, t. I, p. 118. Elle porte l’ex-libris manuscrit (signature) de l’homme de lettre Édouard GOEPP (Paris 1830-1903).


PROVENANCES : Ex-libris manuscrit d'Édouard GOEPP sur la première couverture. Vignette ex-libris de la Bibliothèque de Georges HUGNET.

La reliure a été réalisée d’après les indications de Georges HUGNET, et elle est contresignée (lettre or frappées en pied) de son nom : « Georges HUGNET ».

Georges Hugnet est un artiste complet : il fut peintre et poète, illustrateur, relieur et sculpteur, mais aussi photographe, cinéaste et éditeur. Sans oublier scénariste, acteur, historien d’art et dramaturge.


ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

– Catalogue BnF site Richelieu, Charles Baudelaire, Exposition organisée pour le centenaire des Fleurs du Mal, Paris, 1957, n° 266, p. 61 (l’un des 23 exemplaires imprimés sur papier de Hollande et dédicacé), ainsi que l'exposition, Charles Baudelaire, la modernité mélancolique, Paris, BnF Édition, 2021 (une exposition célèbrant le bicentenaire de la naissance du poète, BnF site Mitterrand).

– Catalogue BnF, En Français dans le texte, 1990, n° 276, p. 262.

– Carteret, Le Trésor du Bibliophile Romantique et Moderne t. I, p. 118.

– Clouzot, Guide du Bibliophile Français, Nouvelle Édition, p. 43 : « Très recherché, même en état médiocre ».

– C. P. M. [Contades], Collection Poulet-Malassis. Bibliographie raisonnée et anecdotique des livres édités par Auguste Poulet-Malassis (1853-1862), Paris, Rouquette, 1885, n° 14.

– Fizelère-Decaux, Essais de Bibliographie Contemporaine, t. I, Charles Baudelaire, n° 38.

– Jean-Jacques Launay, Bulletin du bibliophile, 1979, t. IV, pp. 523-526.

– Oberlé, Auguste Poulet-Malassis. Un Imprimeur sur le Parnasse, n° 212, p. 86.

– Sous la direction de Claude Pichois avec la collaboration de Jean Ziegler, Charles Baudelaire, Correspondance, Paris, Gallimard, 1973, t. I, p. 648. La présente édition contient près de mille quatre cent vingt lettres et témoins et couvre la période janvier 1832 – février 1860.

Talvart & Place, Bibliographie des Auteurs Modernes de Langue Française, t. I, 9a, p. 284.

– Vicaire, Manuel de l’Amateur de Livres du XIXe siècle, t. I, colonne 342.

La référence essentielle :

– Antoine ADAM*, éditeur scientifique, Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, Paris, Édition Classiques Garnier [Classiques Jaunes], 1998, (Paris, Édition Garnier Frères, 1961, exemplaire de jeunesse du libraire avec lequel nous avons travaillé).

*Antoine Adam, professeur à la Sorbonne, éditeur et critique inlassable est aussi l’auteur de l’Histoire de la littérature française au XVIIe siècle en cinq tomes. Antoine Adam raconte avec passion et une science immense la vie des Belles Lettres au Grand Siècle.


La Pléiade

Les études sur la vie et l’œuvre du poète Charles BAUDELAIRE, ainsi que les bibliographies critiques sont considérables. L’édition de base est sans contestation celle de la Bibliothèque de la Pléiade: Œuvres complètes, Édition établie par Claude Pichois, avec la collaboration Jean Ziegler (pour la correspondance, 1973), Paris, Gallimard, 1975-76. Chaque œuvre est accompagnée d’une analyse critique, les notes, les variantes et les textes annexes éclairent la pensée du poète. Un bon outil de travail.


Claude PICHOIS, Dictionnaire Baudelaire, cosigné par Jean-Paul Avice, Tusson, Du Lérot éditeur, Les Usines réunies, 2002, page 201 : « Il [Goepp] collaborait à la Revue contemporaine de Calonne, dans laquelle il rendait compte d'ouvrages écrits en allemand. C'est pourquoi B. [Baudelaire] lui demande de lui faire un résumé d'un livre écrit dans cette langue (Correspondance, t. I, p. 540). Puis, il quitte la revue de Calonne pour collaborer à la Revue européenne, concurrente de la pécédente. Et publie chez Malassis en 1861 Un aventurier littéraire, roman à clés dirigé contre Calonne. B. lui recommande l'exposition du peintre Eugène Lavieille (Correspondance, t. I, p. 648) et lui fait envoyer, pour compte rendu, Les Paradis artificiels (Correspondance, t. II, p. 49) ; le compte rendu parut, anonyme dans la Revue européenne du 1er juillet 1860. Goepp a aussi collaboré à la Revue anecdotique. »


Les éditeurs associés Auguste POULET-MALASSIS et Eugène de BROISE.

L’année 1856 ne devait pas s’achevée sans apporter à Charles Baudelaire un bienfait d’une importance capitale pour sa carrière littéraire. En 1855, après le flot d’insultes qui avait suivi dans la presse la publication des dix-huit poèmes parus dans la Revue des Deux Mondes, Michel Lévy, l’éditeur des Histoires extraordinaires (Edgar Poe traduit par Baudelaire, mars 1856) hésita à publier le recueil de poèmes en prose Les Fleurs du Mal. C’est alors qu’un ami du poète, Auguste Poulet-Malassis (Coco-Malperché, ainsi que le surnomma Baudelaire) prit l’aventure éditoriale à son compte, en fin décembre. Auguste Poulet-Malassis était le fils d’un imprimeur d’Alençon, élève de l’École nationale des chartes en 1848, homme de culture et de goût, il aimait le beau papier, les jolis caractères, les titres en rouge, ainsi que les ornements typographiques. En 1853, il ouvrit une librairie à Paris, 4 rue de Buci, et débuta, avec son beau-frère Eugène de Broise, par une édition anonyme des Odes funambulesques de Banville, laquelle fut suivie des Poèmes barbares de Lecomte de Lisle la même année. Après Les Fleurs du Mal (1857), viendront, entre autres œuvres, une réédition d’Emaux et Camées de Théophile Gautier, Poésies complètes de Sainte-Beuve, Les Paradis artificiels de Baudelaire (1860), la deuxième édition des Fleurs du Mal (1861).

Signalons d'une manière toute spéciale, l’admirable édition des Fleurs du Mal par Jacques Crépet et Georges Blin, dont les essais sur Baudelaire font autorités, à la librairie José Corti.


Le premier contrat

Le premier contrat des Fleurs du Mal fut signé entre les intéressés le 30 décembre 1856. Baudelaire s’engageait à livrer son manuscrit le 20 janvier suivant. L’impression devait commencer au mois de février. Tirage prévu : 1 000 exemplaires. Le 4 février 1857, avec quelques jours de retard, le manuscrit fut remis à l’imprimerie Crété, à Corbeil. Sur chaque volume tiré, qu’il fût vendu ou non, l’auteur devait toucher vingt-cinq centimes. Le 25 juin : Mise en vente des Fleurs du Mal. Le tirage était de 1 300 exemplaires sur papier vélin, et de 20 exemplaires sur papier de Chine. Le volume sur vélin coûtait 3 francs.

Bientôt les dangers se précisèrent et le 27 juillet le poète fut convoqué par le juge d’instruction. Charles Baudelaire à 36 ans.


« Sans aller bien loin en arrière, nous pouvons citer une maison d’éditeur-imprimeur dont les livres, à bon marché cependant, sont aujourd’hui primés, uniquement parce qu’ils sont exempts de faute, bien mis en page et proprement tirés. Les éditeurs Poulet-Malassis et de Broise, d’Alençon, ont publié dans le format in-18° Jésus, sous le second Empire, une certaine quantité de volumes de Charles Monselet, Baudelaire, Maxime Du Camp, Théodore de Banville, Théophile Gautier qui sont déjà très recherchés et valent souvent un louis, alors qu’ils ont été mis en vente à 3 fr. 50. » (Jules Richard, L’Art de Former une Bibliothèque, Paris, Éd. Rouveyre & G. Blond, 1883, p. 82).

Soulignons également l’excellent catalogue établi par Jean-Jacques Launay, maître d’œuvre d’une admirable exposition consacrée à l’éditeur Auguste Poulet-Malassis : Auguste POULET-MALASSIS, Catalogue de l’exposition organisée à la Bibliothèque d’Alençon […] pour le centième anniversaire de l’édition des Fleurs du Mal, octobre 1957, textes rédigés par Jean-Jacques Launay, 1957.


La première apparition du titre Les Fleurs du Mal

Le 1er juin 1855, La Revue des Deux-Mondes, publiée sous le titre jusqu’alors inédit, Les Fleurs du Mal, dix-huit des plus beaux poèmes de Charles Baudelaire. Selon les biographes du poète, Les Fleurs du Mal étaient insérées à titre « clinique ». La collaboration de la Revue et de Charles Baudelaire s’arrêta là. Ce n’est qu’en 1857 qu’apparaîtra la première édition des Fleurs du Mal.


Un titre calembour

À la genèse de cette œuvre d'une autre poésie, le recueil devait s’intituler assez improprement, Les Lesbiennes ou Les Limbes ; le titre, à la fois original et précis, de Les Fleurs du Mal fut trouvé en 1855 (Revue des Deux-Mondes) par le critique littéraire et romancier, Hippolyte Babou, selon Charles Asselineau. Baudelaire fut satisfait de l’association antithétique de la beauté et du mal que la postérité devait rendre célèbre.


 « Le dernier poète humain, c’est Baudelaire. Il n’y a plus de grand poète français depuis Baudelaire. » (Julien GRACQ)

1857 : la première édition des Fleurs du Mal.

La première édition des Fleurs du Mal comporte 5 sections: I. Spleen et Idéal ; II. Fleurs du Mal ; III. Révolte ; IV. Le Vin ; IV. La Mort. 100 pièces au total.


Quelques mots sur la seconde édition (1861) des Fleurs du Mal

Le 16 juillet1 1857, la justice saisit Les Fleurs du Mal et Baudelaire et son éditeur Poulet-Malassis sont poursuivis pour outrage à la moralité2. Ce procès littéraire fit de Charles Baudelaire un homme public. Aussi, une seconde édition fut-elle préparée et mise en vente en février 1861. Cette publication est une « seconde édition originale », Baudelaire remanie son œuvre en profondeur en rendant l’architecture du livre plus cohérente. Cependant, le poète avait une nouvelle fois craint la réaction des autorités judiciaires, mais le garde des Sceaux décida de ne pas poursuivre cette seconde édition des Fleurs du Mal, une telle procédure risquant de fournir à l’auteur « une fâcheuse publicité ». Cette nouvelle édition n’éveilla qu’une faible curiosité chez les lecteurs, bien rares furent les journaux qui en rendirent compte et il fallut attendre quelques mois pour lire une chronique enthousiaste du jeune poète anglais Algernon Swinburne dans le journal The Spectator.

1. Le 5 juillet 1857, le Figaro publie un article acerbe de Gustave Bourdin dans la rubrique Ceci et Cela qui, – selon Baudelaire – serait à l’origine des poursuites judiciaires : « Il y a des moments où l'on doute de l'état mental de M. Baudelaire. » ; « L'odieux y coudoie l'ignoble 2. Le 20 août 1857, l’affaire vint à l’audience de la sixième chambre correctionnelle. Le substitut du Procureur Impérial Ernest Pinard (qui, quelques mois auparavant, a déjà condamné Flaubert pour son roman licencieux Madame Bovary) condamne le livre « pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs », Baudelaire et ses éditeurs doivent payer de lourdes amendes. Quelques exemplaires (deux cents) subissent l’amputation de six pièces condamnées : Les Bijoux, Le Léthé, À celle qui est trop gaie, Femmes damnées, Lesbos, et Les métamorphoses du Vampire, d’autres complets, vont se vendre plus chers. Baudelaire publie quelques articles justificatifs. Le jugement ne fut révisé que le 31 mai 1949, sous l'impulsion de la Société des Gens de Lettres, un procès devant la Cour de Cassation réhabilite Charles Baudelaire et ses éditeurs.