Charles LEROUX DE COMMEQUIERS. Un important ensemble de lettres autographes.
Le premier feuillet (folio recto) fait office de page de titre.
Lettre 4
CE PRÉCIEUX RECUEIL EST ENRICHI D’UN TRÈS RARE JOURNAL INTIME RELATANT UN VOYAGE EN ÉCOSSE AU XVIIIE SIÈCLE.
L'AUTEUR : Charles LEROUX DE COMMEQUIERS (1755-1832) négociant et ancien juge du consulat de Nantes*.
*Indice de sa réussite et de son implication majeure dans le commerce nantais.
Dossier d’archives
GÉNÉALOGIE :
Charles LEROUX DE COMMEQUIERS est le fils aîné de l’union de Jean-Charles LEROUX-DES-RIDELLIÈRES (autrefois calligraphié Desridellieres Leroulx [1718-1792]) et de Flore Victoire Michelle PRUDHOMME (1735-1795), figure majeure du commerce transatlantique au XVIIIe siècle.
Jean-Charles LEROUX-DES-RIDELLIÈRES père. Lieutenant de la Louveterie du Roi, négociant, armateur et négrier. Propriétaire de plantation à Saint-Domingue (sucrerie), où il va développé considérablement sa fortune coloniale. Baron de Commequiers-lès-Challans et d’Apremont (Vendée).
SAINT-DOMINGUE : Au XVIIIe siècle, le sucre, aliment rare et coûteux en Europe devient l’or blanc du commerce colonial. L’Angleterre, la France, l’Espagne et la Hollande se livrent une guerre sans merci. À partir des années 1660, l'immigration volontaire d'engagés aux Antilles ne suffit plus au développement de la culture du sucre. Aux Petites Antilles, les exploitations sucrières sont déjà de lourdes machines industrielles aux conditions inhumaines réclamant toujours et encore plus de main-d’œuvre d’esclaves noirs. Les déportations de masse d’hommes, femmes et enfants d’Afrique sont considérables avec un niveau croissant de violence extrême (les caravanes Maures et Noirs fournissent l’esclave marchandise aux Blancs des captiveries des Concessions). Aux Grandes Caraïbes, l'île de Saint-Domingue demeure alors la première zone de production sucrière et la plus rentable du monde jusqu’en 1791 (révolution haïtienne menée par Toussaint Louverture). La culture du sucre, du café, du cacao, du coton, de l'indigo, sont des ressources très prisées en Europe.
ENFANTS :
- Charles LEROUX DE COMMEQUIERS (1755-1832)
- Flore Anne Elisabeth LEROUX-DES-RIDELLIÈRES (1760-1761)
- Flore Victoire LEROUX (1763-1812)
- Joachim LEROUX-DES-RIDELLIÈRES (1767-1789)
À noter que l’auteur fait mention, dans sa correspondance, de sa fratrie en ces termes : « mes frères & ma sœur » (formule répétée lettre 17, année 1775). Concernant sa sœur Flore, l’auteur en témoigne dans la lettre 15, année 1775, son frère Joachim dans lettre 17, année 1775.
NOTES :
Des Commequiers aux Du Bellay, la baronnie s’est toujours transmise par héritage ou par alliance. Pour la première fois Commequiers est vendu en 1627 par Martin du Bellay à Phillipe de la Trémoille. Par sa petite-fille Marie-Anne elle passe à Paul Sigismond de Montmorency Luxembourg. Son petit-fils Anne-Charles la vend vers 1780 aux demoiselles Grou dont héritera Jean Charles Leroux-des-Ridelières, échevin et négociant nantais, devenant alors le dernier seigneur de Commequiers. En effet, sa femme Flore Victoire Michelle Prudhomme est la fille de Pierre Gilles Prudhomme et de Thérèse Grou. Il arme pour son propre compte 15 navires négriers entre 1763 et 1776, et est associé dans cet épouvantable trafic aux familles Grou et Prudhomme.
Jean-Charles Leroux-des-Ridellières figure dans la base REPAIRS comme ayant reçu une indemnité en tant qu’ancien colon de Saint-Domingue.
Deux exemples types d’armements du négociant-armateur Jean-Charles LEROUX-DES-RIDELLIÈRES :
- Navire « le Flore » ; port d’attache : Nantes ; 180 tonneaux, 2 canons ; capitaine : Alain Daniot ; armateur : DE RIDELLIÈRES LE ROUX ; voyage : circuiteux, départ 16 mars 1770, côte de Guinée, traite négrière ; naufrage : 28 juin 1771, erreur de pilotage, échouement sur le banc des Morées (Saint-Nazaire) ; cargaison : sucre, indigo, café, ivoire. (Cf. Jacques Ducoin, Naufrages, conditions de navigation et assurances dans la marine au XVIIIe siècle : le cas de Nantes…, Paris, Librairie de L’Inde Éditeur, 1993, p. 341).
- Navire « La Duchesse de Duras » ; port d’attache : Nantes ; 175 tonneaux, 38 hommes d'équipages (2 morts en mer au total) ; capitaine : Jean-François Trébuchet (père de Sophie Trébuchet, mère de Victor Hugo) ; armateur : DE RIDELLIÈRES LE ROUX ; voyage : circuiteux, départ de Nantes 27 avril 1776, côte de Laongo (Congo), traite négrière ; Louangue 407 Noirs (8 morts au total), Léogane 397 Noirs ; arrivée à Nantes 3 octobre 1777, 17 mois et 1 semaine. (Cf. Jean METTAS (1941-1975), Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle, 2 volumes, tome I (Nantes), p. 600, col. 1047).
Analyse du corpus documentaire et date de composition.
LEROUX DE COMMEQUIERS (Charles).
UN IMPORTANT ENSEMBLE DE 57 LETTRES AUTOGRAPHES [1+56] commencées le 25 novembre 1774.
CE PRÉCIEUX EGO-DOCUMENT EST ENRICHI D’UN RARE JOURNAL INTIME RELATANT UN VOYAGE EN ÉCOSSE AU XVIIIE SIÈCLE.
UN CORPUS DANS SON INTÉGRALITÉ COHÉRENT ET COMPLET SOIGNEUSEMENT MIS AU NET, LE SEUL ÉTAT DU TEXTE ACTUELLEMENT CONNU. NOUS AVONS ICI LA SEULE COPIE CONNUE.
Collation : Format in-douze oblong ; 186 feuillets non chiffrés manuscrits. Le premier feuillet (folio recto) fait office de page de titre. Absence de feuillets blancs et filigranes lisibles et de réglures.
Reliure : Une pleine basane, dos lisse muet, un double filet à froid d’encadrement sur les plats, un fermoir1 de laiton ouvragé à lanière en vélin conservé, tranches jaune paille mouchetées rouges, usures du temps, une reliure anglaise2 de l’époque.
1. Composé d’une lanière en vélin munie en son extrémité d’une plaque ciselée en laiton dite agrafe. L’agrafe est munie d’une griffe qui vient s’accrocher à un tenon en cuivre – dit contre-agrafe – fixé sur le chant du plat opposé.
2. Les livres à fermoirs. Leur disposition varie en fonction de l’origine géographique des reliures. En France et en Italie, les fermoirs partent du plat supérieur et se fixent sur le plat inférieur. À l’inverse, en Europe du nord, en Allemagne, en Angleterre, aux Pays-Bas, les fermoirs partent du plat inférieur pour venir s’accrocher au plat supérieur. C’est le cas présent pour la reliure de ce carnet de notes.
Nota bene : Ce précieux recueil manuscrit possède son certificat d'exportation pour un bien culturel.
Format bibliographique : L. 18,5 cm ; l. 12cm ; H. 4 cm
Vendu
Présentation & zone de contexte
Au XVIIIe siècle, la France affirme son rang de grande puissance coloniale. Stimulée par le mouvement économique et par la stabilité politique, placée juste après l’Angleterre, elle devient, la deuxième puissance commerciale européenne et le deuxième pays d’Europe à pratiquer la traite négrière transatlantique.
Depuis les ports de Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Le Havre, un circuit commercial reposant sur différents acteurs, armateurs, capitaines de navires négriers, colons propriétaires, se met en place. Des captifs africains sont échangés contre différents produits européens (armes à feu, textiles, produits manufacturés divers) puis transportés par-delà l'océan jusque dans les colonies où ils sont vendus, ou échangés contre les denrées tropicales destinées à l'Europe.
Comment le corpus est-il structuré ?
Charles LEROUX DE COMMEQUIERS (1755-1832), diariste et épistolier d’une exceptionnelle correspondance, tant par son ampleur que par sa durée. Elle est totalement inédite. C'est l'œuvre d'un jeune homme éclairé, d'un Boswell.
Un recueil de documents signifiant constitué de deux parties distinctes :
1. Un carnet de notes contenant un précieux recueil de cinquante-sept copies de lettres autographes personnelles commencées en novembre 1774 jusqu’en mars 1776, adressées à ses parents, à l'élite négociante nantaise, ainsi qu'à la communauté des Jacobites (« Irlandais de Nantes ») rassemblée autour de cette métropole. Nantes, grande ville de commerce maritime, principal port français d’armement en droiture (la domination des vaisseaux nantais est écrasante) et premier port négrier de France et d’Europe à la fin du XVIIIe siècle*. Marché important de consommation, la cité ligérienne fait apparaître son rôle essentiel dans l’économie mondiale à l’époque considérée.
L’auteur n’hésite pas à inclure dans son abondante correspondance d’intense réflexion sur le fonctionnement de l’économie et observe principalement les mœurs et coutumes politiques, alors que se développent rapidement la société industrielle et le capitalisme moderne, ainsi que plusieurs lettres rédigées en anglais d'un niveau avancé, ce qui laisse apparaître qu’il était fort instruit et possédait, outre ses qualités littéraires, une excellente connaissance de la langue anglaise et de la Grande-Bretagne. L’un des traits les plus marquants de cette correspondance est le souci constant d'accomplir un travail détaillé et scrupuleux.
*Plus de 42% des départs d’expéditions de traite des noirs entre 1707 et 1793. Le XVIIIe siècle, période de « prospérité triomphante » pour le port de Nantes selon la formule de Jean Meyer.
2. Un précieux et très rare Journal d’un voyage en Écosse occupant soixante-six pages du recueil fait suite à cette correspondance. Peu de voyageurs continentaux sont tentés à cette époque par l’hospitalité écossaise, et encore moins par le charme des régions sauvages et presque inconnues des montagnes aux épais brouillards givrants et des îles Hébrides. Une occasion s’offre à l’auteur de visiter l’Angleterre et l’Écosse. Il la saisit avec enthousiasme. Parti de Londres, notre jeune touriste découvrira notamment Berwick, Édimbourg et Glascow. Le jeune Leroux, qui consigne quotidiennement ses remarques et ses impressions, nous brosse un tableau saisissant de vérité. Son style est vif et plein de détails vrais. L’appétit d’observer, la volonté d’écrire sont quelques-uns des ressorts narratifs de ce récit factuel totalement inédit.
Il n’existe aucune source de première main sur l’Écosse contemporaine qui soit digne de confiance, d’où l’immense intérêt suscité par la découverte de ce Journal.
Mémoires, souvenirs personnels, confessions impromptues, journal intime, constituent le sel de cet ensemble épistolaire, où l'on peut lire également l’amour et l’admiration d’un fils aîné envers son père. En outre, cet unique manuscrit autographe offre de nombreuses descriptions et précieux renseignements sur la politique, l’économie, la société, les arts, la vie et les mœurs des Anglais au XVIIIe siècle, sous le règne de George III, ainsi que sur leurs colonies en Amérique qui étaient en train d’acquérir leur indépendance*.
Une ressource inédite d’un vif intérêt au point de vue documentaire historique.
Ce corpus s'apparente à un recueil de « Nouvelles à la main », c'est-à-dire un recueil manuscrit d'articles donnant des informations d'actualité selon l'ordre chronologique.
*Campagne de Boston (1774-1776), la première campagne militaire de la guerre d’indépendance des États-Unis. Les colonies avaient déjà voté pour leur indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne le 2 juillet 1776, mais les débats houleux sur l’esclavage des noirs et les Amérindiens ont retardé l’adoption officielle de la Déclaration d’indépendance.
Qui êtes-vous ?
Charles LEROUX DE COMMEQUIERS était membre d’une importante famille de négociants nantais, armateurs négriers. Leroux-Des-Ridellières est l’un des proches parents par alliance du richissime armateur négrier Guillaume GROU (1698-1774) et son frère cadet Jean-Baptiste (1708-1756), l’un des deux plus importants négociants-armateurs de la place de Nantes. Nous notons également que Charles Leroux de Commequiers a acquis un grand nombre de « biens nationaux » pendant la Révolution. Il avait prêté à l’État, sous l’administration du très contesté directeur général des Finances Jacques Necker, plusieurs millions de livres tournois. Il figure par ailleurs dans la base REPAIRS comme ayant reçu une indemnité en tant qu’ancien colon de Saint-Domingue.
Codicologie
Écriture personnelle, épistolaire. Une cursive serrée, sans marges mais lisible bien formée (les lettres sont plutôt régulières), facile à comprendre, à l’encre fluide marron sépia (folio recto & folio verso) sur un grossier papier de chiffon vergé ancien écru à grammage élevé. L’écriture est inclinée à droite, c’est-à-dire une écriture italique typique de l’époque moderne, elle est rectiligne, naturelle et parfois un peu grasse.
Summa exemplaria litterarum soignées malgré quelques ratures, corrections, ajouts autographes interlinaires et surlignures. Quelques abréviations (lettres suscrites) conventionnelles et univoques.
ÉTAT DE CONSERVATION
Très bon état de conservation général.
PROVENANCE
Collection privée, France.
CONTENU
Le présent ensemble réunit 57 lettres autographes personnelles et un manuscrit autographe renfermant l’intégralité d’un récit de voyage en Écosse au XVIIIe siècle.
DATE D’EXÉCUTION
L’année d’exécution du manuscrit est indiquée.
• Correspondance : novembre 1774 à mars 1776.
• Journal : septembre et octobre [1775].
ILLUSTRATION
Aucune
LANGUE DU DOCUMENT
Français et anglais
AUTRES EXEMPLAIRES conservés dans les fonds d’archives ou bibliothèques publiques
Aucun
Transcription dactylographique complète du premier feuillet :
[Folio recto :] « Copies de Lettres Commençées / Le 25 Novembre 1774*.
[*forme le titre du recueil souligné par une accolade qui finie par une ruche, ici une coqueterie de plume]
Le journal d’Ecosse à la fin de ce livre n’est qu’une / collection mal digerée de quelques unes de mes remarques / sur ce pays. de crainte d’oublier celles qui sont venuës / à la tête en le faisant, je les ai jettées sur le papier / sans égard à leur arrangement, & ce n’a été que sept / mois après avoir quitté ce Royaume. les digressions y sont / fréquentes, & d’une longueur peu proportionnée à celle du journal. / je l’ai écrit pr. [pour] mon usage, & sans penser que d’autres le liraient.
[Folio verso :] je n’ai parlé dans aucun de mes journaux de Windsor. le Roi y a / son plus beau & meilleur Palais. il n’est cependant pas magnifique, / mais il est grand & régulier, & on y voit une très belle collection / de peintures des meilleurs maitres anglais & étrangers. entre-autre / les 14 principales maitresses de Charles 11. c’est un chateau d’une des tours [ajout interlinéaire :] extrêmement / bien situé d’une des tours duquel on voit 12 comtés. le terrein aux / environs étant plat la perspective n’est pas aussi belle que je / m’y attendais. autour du chateau il y a de jolies promenades, / ou j’ai vu plus de belles femmes à proportion du nombre qui y / était que je n’en ai vu de ma vie. les Ducs de Gloucester & de / Cumberland ont à 3 miles de là des maisons de campagne jolies / pr. [pour] des particuliers non pour des Princes de sang. l’église collégiale / de Windsor est un bon batim.t [bâtiment] gothique. c’est là qu’on installe les ch.ers [chevaliers] de la / jarretière. la Tamise sépare cette ville de celle d’Eton ou il y a un bon collège, / dont les écoliers doiv.t [doivent] coucher par 20.es [vingtaines] dans des chambres très froides & sur des / matelas seulement supportés par des planches, & porter des manteaux noirs. [Une ligne de texte écrite verticalement en marge (blanc de grand fond) :] henry six fondateur de ce collège dicta ces régles. »
Nota Bene : On notera l’absence de majuscule en début de phrase. – [/] Indique le retour à la ligne. – [ ] Sont mentionnées entre crochets des précisions qui ne figurent pas dans le manuscrit.
Contenu :
Correspondance personnelle rédigée à Londres, Grande-Bretagne où l’auteur vit et travail chez M. Louis de TESSIER (1736-1811), réfugié huguenot, issu d’une famille d’origine helvético-française (famille de Languedoc), joaillier et intermédiaire financier dont la firme est installée sur ' Old Broad Street ', Londres.
Londres au milieu du XVIIIe siècle se peut figurer à l’esprit comme une très grande capitale. C’est la plus grande ville d’Europe et la plus peuplée. C’est le siège de la cour et du gouvernement du Royaume-Uni. La ville jouit, outre son essor industriel et urbain, d’une prospérité commerciale enviable. On y vient de toute l’Europe chercher, sinon la fortune, du moins une situation.
Pour résumer cette pièce d'archive composée d'unités documentaires assez composites : Tout s’y trouve. Techniques maritimes et commerciales, naissance et croissance d’une grande entreprise familiale, de ses associés et de ses concurrents, puissance des clans, leurs places honorables maintenues par leurs maisons d’armement, leurs lignes maritimes régulières, leurs négociants installés sur place, l’évolution du sens des courants commerciaux… Cette correspondance nous plonge au cœur du très haut négoce nantais, en pleine guerre du sucre, dans leurs réseaux d’affaires très cloisonnés, amplement fondés sur les alliances familiales.
Nota Bene : En nous basant sur l'ouvrage de Thomas De Bréville, Le Banquier et Négociant Universel ou Traité Général des Changes Étrangers…, Nouvelle édition augmentée, Paris, 1767 : 1 livre sterling = 22 livres tournois, 10 solz [ou sous] ; et 1 shilling = 1 livre tournois, 2 solz [ou sous]. 1 maille : Petite monnaie de billon valant la moitié d'un denier.
Année 1774 (10 lettres).
Lettre 1
« M.r Desridellieres Leroulx, à Nantes… le 25 Nov.re [novembre] 1774
Monsieur & très cher Pere, je suis pénétré de la plus vive // reconnaissance pour tous les bienfaits dont vous m’avés comblé // jusques à présent, mais en particulier pour la lettre »… L’auteur adresse à son père une tendre et respectueuse lettre où il se sent bien redevable envers lui, puis il donne le détail de la note des sommes exactes reçues jusqu’à ce jour d’après « le grand livre de Mr [Louis] Teissier », et réglées pour couvrir ses besoins indispensables (chemises, cols, mouchoires, etc.), précisément 250 livres sterling depuis son départ de France pour Londres (dix-neuf mois écoulés au 1er janvier 1775). Ensuite : « je vais répondre, mon très cher Pere à quelques unes de vos // questions à mon égard. ma taille est éxactement de cinq pieds* // français [22 ans – 1,62 m], ou cinq, cinq pouces anglais. vous voyés que j’ai peu // crû [grandi], en revanche j’ai pris beaucoup de corps, cependant sans être // devenu trop gras »… Leroux nous renseigne sur son excellente santé qu’il souhaite aussi bonne pour son père, sa mère, ses frères et sa sœur. En outre, il se lève en hiver à sept heures et demi, en été à six heures et demi, les matinées se passent au cabinet [de Louis TESSIER] et les soirées les jours de courrier : « Les autres jours, je vais en compagnie // à la comédie à l’opéra & ou je lis, je jouë du violon & // enfin je passe très peu de temps à rien faire »…
*Le pied de roi : 0,32483 m (censé être la mesure du pied de Charlemagne : 12 pouces).
Lettre 2
« M.r J. B. Fortier fils, à Nantes… le 6 Xbre [décembre*] 1774
j’ai reçu avec un vrai plaisir, mon cher monsieur, la lettre très polie dont // vous avés bien voulû m’honorer le 17 du mois dernier »…
Fortier a passé un court séjour à Londres en compagnie de l’auteur.
*Tardivement abrégé en Xbre ou 10bre
Lettre 3
« M.r Desridellieres Leroulx, à Nantes… le 9 Dec.re [décembre] 1774
M. & T. C. P. [Monsieur & Très Cher Père] Depuis la lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire le 25 du // mois passé, le nouveau Parlement s’est assemblé, & le Roi à prononcé // un discours dans lequel il fait bien sentir que les Bostoniens mérit.t [méritent] // d’être traittés en Rebelles, & ou il dit qu’il a pris les mesures nécessaires pour les ramener à l’obéissance »… Un témoignage important sur la désobéissance des colons américains : The Boston Tea Party fut une révolte politique à Boston contre le parlement britannique en 1773 (affaire du thé). Le gouvernement répliqua en instaurant des lois punitives dans la colonie du Massachussetts. Le 7 mars 1774, une nouvelle Tea Party eut lieu. « Le Lord Clive, // un grand coquin, & dont sans doute vous avés beaucoup entendu parler, // s’est égorgé ces jours-ci, excité à cela, dit-on, par ses remords »… Sir Robert Clive (1725-1774), intimement mêlé à l’histoire de la conquête de l’Inde, pair d’Irlande, il a été le puissant gouverneur du Bengale. Fortuné, spéculateur avide, accusé de concussion : la Chambre des communes le déclare innocent ; il reste, néanmoins, vivement affecté par ce scandale et se suicide dans sa maison de Berkeley square, Londres. Leroux donne des détails précis sur la singulière personnalité de Sir Clive et signale que les suicides sont fréquents en novembre voire en tout temps en angleterre. Puis, il regrette que les thés et les cafés se soient si mal vendus à l’Orient (sic) et que les indigos continuent à être sans la moindre demande. « Il est vrai, mon très cher Pere, la vénalité des places dans le Parlement // est un grand malheur pour les anglais, & dont il se ressentiront // probablement d’une manière bien cruelle, je veux dire en perdant leur // liberté, & en attirant le mépris des autres nations »… L’auteur cite l’exemple d’un sénateur qui après avoir perdu six mille livres sterling au jeu rembourse sa dette en obtenant une place de sénateur à son créancier. Suit l’évocation du rétablissement du parlement de Bretagne (relation entre le Parlement et le pouvoir royal) ainsi que ceux de Paris et de Rouen. Leroux assiste à des lectures à l’Académie des sciences de Londres. Il informe également son père sur quelques dépenses (les lettres de M. Tessier à faire passer en Inde, ainsi qu’une caisse de livres pour M. l’Evêque à Nantes) et sur les modalités de rembousement.
Lettre 4
« M.r L’Evêque, à Nantes… le 13 Dec.re [décembre] 1774
Sir, I flatter my-self you will be satisfied with the haste I have // made, in forwarding you the books which you had asked of M.r // Ludlam, for as soon as I received them, I bought those which // he directed me to by, & sent the whole, put together in a box, // a board a ship going to l’Orient »…
Lettre rédigée en anglais à propos des livres envoyés à M. L’Evêque avec force détails (supra scriptor photographie 2).
Lettre 5
« Madame Grou à Nantes… le 20 Dec.re [décembre] 1774
ma très chere tante, la fâcheuse nouvelle que je viens d’apprendre // m’a fait éprouver la tristesse la plus amère. j’avais pour mon cher // oncle un attachement très vif & très sincère, & Dieu m’afflige // singulierement en me privant d’un parent si digne de l’amitié // & de l’estime que tous ceux qui le connaissaient avaient pour lui »…
Lettre de condoléances. L’auteur prend part à la douleur qu’éprouve sa tante à la perte de son époux, Guillaume GROU, richissime armateur négrier nantais (voir la lettre 13, année 1775).
Lettre 6
« Mesdemoiselles Grou à Nantes… le 20 Dec.re [décembre] 1774
M. T. C. T. [Mes Très Chères Tantes] je prends en vérité bien part à la juste affliction qu’à // du vous causer la mort de mon cher oncle pour lequel j’avais // une affection bien vive »… Lettre de condoléances. L’auteur prend part à la douleur qu’éprouvent ses tantes à la perte de leur frère, Guillaume GROU.
Lettre 7
« M.r Bonnetier à Nantes… le 20 Décembre [1774]
M. & T. C. O. [Monsieur & Très Cher Oncle] Si consolatis miserorum fit habere pares la douleur que vous // a causé la mort de nos plus chers parens »… Lettre de condoléances. L’auteur fait part à son oncle M. BONNETIER de la douleur qu’il éprouve à la perte de autre son oncle Guillaume GROU, puis il le félicite d’avoir obtenu une place dans un régiment pour son cousin LE CHEVALIER.
Lettre 8
« Mad.me Desridellieres Leroulx à Nantes… le 20 Xbre [décembre] 1774
M. & T. C. M. [Madame & Très Chere Mère] j’ai appris avec une vraie peine la mort de // notre bon oncle M.r Grou »… Lettre de condoléances. L’auteur prend part à la douleur qu’éprouve sa mère à la perte de l’oncle Guillaume GROU, âgé de 75 ans, puis il demande des nouvelles de la fratrie.
Lettre 9
« M.r Desridellieres Leroulx à Nantes… le 20 Dec.re [décembre] 1774
M.r & T. C. P. [Monsieur & Très Cher Père] Excepté, la triste nouvelle, que vous m’apprenés […], je veux dire la mort de mon // oncle M.r G.me [Guillaume] Grou qui m’a fort affligé »… Lettre de condoléances. Suivent deux précieuses pages d'informations sur les événements d’Amérique : « Il est vrai que les Bostoniens son déterminés à faire résistance, & // on est d’opinion ici que, supportés comme ils le font, ils peuvent en // faire une très rigoureuse. excepté le canada & la floride, toutes // les provinces de l’amérique anglaise se sont jointes à celles de Boston // pour défendre ses droits & pour demander la restitution de plusieurs des leurs // dont ils prétendent qu’on les a privé depuis la paix, époque à laq.le [laquelle] // ils disent que le Ministère à commencé à chercher à les réduire // à l’esclavage »…
Lettre 10
« M.r Th.s [Thomas] Baines at La Marsh* near halstead, Essex. Le 23, Xbre [décembre] 1774
my Dear Sir, the Friendly letter you have honowred me with // the 18th of this month has afforded me a great deal of pleasure // as it shows me that you are in good spirits, & consequently // that you & the Dear little boy are well, & that M.rs Baines’s Illness is by no means dangerous »…
Lettre très amicale rédigée en anglais. Leroux se réjouit de la bonne santé des époux Baines et fils, il leur rappelle l'invitation de Mme et M. Louis Tessier et les remercie de leur invitation dans le comté de l'Essex qu'il n'a pu honorer pour cause d'un emploi du temps trop chargé.
*Lamarsh est un village et une paroisse civile du district de Braintree dans le comté d’Essex.
Année 1775
Lettre 11 UNE LONGUE ET IMPORTANTE LETTRE
« M.r Desridellieres Leroulx, à Nantes… le 6 janvier 1775
M. & T. C. P. [Monsieur & Très Cher Père] Depuis que j’ai eu l’honneur de vous écrire, j’ai derechéf // relu l’estimable lettre que vous avés eu la bonté de m’adresser le le 6 Xbre [décembre] der [dernier]… »
Une belle missive tendre et respectueuse pleine de reconnaissance pour son père : « vous mérités à tous égards le titre du meilleur des pères, & que je vous dois toute // la reconnaissance dont mon cœur est susceptible. »… Puis, l’auteur aborde la question de l’état peu prospère du commerce en Chine et en Inde : « Cela vient, probablement de ce que la pluspart de nos armateurs // pour l’asie ne gèrent pas leurs affaires aussi bien qu’ils le pourraient // ou du moins que d’autres le peuvent. Ce qu’il y a de certain, c’est // que Mess. [Messieurs] admyrault1 ont écrit à M. Tessier (ceci, entre-nous, // je vous supplie), que malgré la cabale & la jalousie de leurs // confrères armateurs, dont les manœuvres indignes ont été en partie la cause, // de ce que la vente a été aussi désavantageuse »… Leroux cite Admyrault et Tessier, associés habiles à mener de fructueuses affaires : « ces Messieurs [admyrault et Tessier] ont beaucoup // de ressources pour ce commerce que d’autres maisons n’ont pas. // Le gouvernement leur a prêté trois ou quatre vaisseaux ; // ils en arment dix ou douze. Ils ont pour principal gérend de // leurs affaires en asie un M.r La Rochette2 homme d’une grande capacité, d’un génie vaste & propre à former des projets de conséquencses »… Et où l’on apprend que le jeune Leroux travail chez Tessier3 à Londres. « Mess. [Messieurs] admyrault [et La Rochette] sont des amis très intimes // de M. Tessier. C’est leur neveu qui doit venir prendre ma // place chés lui [Tessier], que par parenthèse j’ai tous les jours de nouvelles raisons à me féliciter de l’avoir obtenuë… » Ensuite, il fait l’éloge d’une manufacture4 drapière de coton britannique (qu'il oppose à un drapier français) qui permet d’énormes gaints de productivité et des baisses de prix : « je suis [allé] voir hier, mon très cher Père, une des plus considérables // manufactures ou on imprime des toiles & cottons, avec des // instrumens de bois, & avec des planches de cuivre […] deux hommes peuvent imprimer 500 aunes par jour. On donne à ces gens la 3 guinées par semaine […] on peut avoir // ici une jolie pièce de mousseline imprimée de 20 verges de long // sur une de large pour £ 6 – on en voit ici beaucoup de robes d’été […] il y a presque continuellement 430 hommes ou femmes occupés // dans cette manufacture. Il en coute aux chéfs environ £ 12 000 // par an seulement pour gages d’ouvriers ; & ils payent à peu près // autant au Roi » … Changement de registre The British Museum : « j’ai été une seconde fois voir le Museum // Britannique. Le Bâtiment à été élevé sous la direction d’un // architecte français, & selon moi, il n’y en a point d’aussi beau // à Londres, excepté quelques églises. quant à l’intérieur, il y a // une bibliothèque très considérable consistant en livres écrits en toutes // sortes de langues tant anciens que nouveaux imprimés & manuscrits […] il n’y a qu’un petit nombre de personnes qui en // jouissent. Les autres ne les voient qu’en passant. on n’a point la permission // de rester là à lire ou à examiner les curiosités. On allouë aux spectateurs // deux heures pour parcourir une douzaine de chambres […] & on attend quelquefois six semaines // pour un billet d’entrée. »
1. Jean-Louis ADMYRAULT (1760-1835), armateur et législateur rochelais. Voir également : Archives de la Charente-Maritime, Louis TESSIER, Londres ; Grande-Bretagne, Correspondance adressée à Jean-Louis ADMYRAULT (1785-1790), cote : 4 J 4331.
2. Antoine-Élie Peyrusset de LA ROCHETTE (1761-1818), négociant et armateur à Nantes, associé D’ADMYRAULT et TESSIER.
3. The Tessier Family in London. Families with the name Tessier arrived in London from France and Switzerland in the 16th, 17th & 18th centuries. Some sources say that the ancestors of the Tessier jewellers came from Geneva, Switzerland and arrived in England in 1712, others claim that Louis de Tessier (1736-1811) was the founder of Tessier’s jewellers and that he was the grandson of Jacques de Teissier [Tessier] (1697-1765), a French Huguenot refugee. Lewis (Louis) Tessier is mentioned in records as having property adjoiningWoodcote Park, Epsom, Surrey in 1792. In 1740, two French Huguenot merchants named Henry (Henri) and James (Jacques) Tessier were in partnership with John Anthony Loubier at Basinghall Street, London. In 1794, the firm of Charles Loubier, Tessier & Co. were listed as "Merchants" at 27 Austin Friars, London.
• Il est référencé une pièce imprimée à la Bibliothèque municipale de Nantes (n° 12323) un mémoire publié par Jean-Baptiste ANGEBAULT intitulé : Mémoire pour ecuyers Joubert du Collet, père et fils, négociants à Nantes, contre le sieur Louis Tessier, négociant à Londres, Nantes, Imprimerie Mellinet-Malassis, 1775, in-4°, 19 pages.
– " The firm was founded by Lewis de Tessier (†1811), of Old Broad Street, whose grandfather settle England in 1712. The family originally came from Languedoc. " (Cf. Tessa Violet Murdoch, [publié par] Museum of London, 1985, The Quiete Conquest : The Huguenots 1685-1985, p. 260, "A Museum of London exhibition in association with the Huguenot Society of London 15 May to 31 October 1985.")
4. Entre 1765 et 1785, une surenchère d’innovations techniques permet la réussite d’une génération d’entrepreneurs des régions pauvres du Nord-Est de l’Angleterre et fait du coton le premier moteur de la révolution industrielle britannique. Rappelons qu'entre 1686 et 1757 pour ne pas nuire à la production traditionnelle de laine, de lin et de soie, cette activité lucrative ainsi que les importations sont interdites en France favorisant l’achat à l’étranger (Hollande, Angleterre et Suisse) ou encore la fabrication clandestine. La prohibition du drap de coton est levée en 1759 entrainant l’installation à Nantes de nombreuses manufactures de toiles imprimées (Gorgerat, Petitpierre, Favre, Pelloutier, Kuster…), d'où l'intérêt de l'auteur pour ce secteur de l'industrie.
Lettre 12
« M.r Espivent* de La Villesboisnet fils [Pierre-Antoine], à Nantes… le 6 janvier 1775
« my Dear Sir, The business of the acconting house has obliged me, // much against my will, to defer answering to you friendly by letter // of the 3.d December. I will do it now as well as I can. »
Une longue lettre rédigée en anglais
*Pierre-Antoine Espivent de La Villesboisnet (1719-1785). Cette famille de la noblesse bretonne a joué un rôle important dans le commerce maritime nantais au XVIIIe siècle. L’armement Espivent de La Villesboisnet est crédité de 23 opérations entre 1727 et 1791. L’activité principale est le commerce en droiture aux îles (sucre, café, indigo, cuirs, coton), c’est-à-dire, la vente directe de marchandises aux colonies, l’activité spéculative et le commerce triangulaire.
Lettre 13
« M.r Desridellieres Leroulx à Nantes… le 24 janvier 1774 [pour 1775]
M.r & T. C. P. [Monsieur & Très Cher Père] pensant que la recommendation de M.r Tessier en faveur // de Mess. [Monsieur] admyrault est assés forte pour vous engager à leur faire le // meilleur acceuil qui dépendra de vous, je crois inutile de vous en parler // davantage & je suis bien persuadé qu’il l’est aussi de vous insinuer // les moyens de tirer tout le fruit possible d’une telle connaissance ; // comme de leur fournir les chanvres dont ils peuvent avoir besoin // pour leurs armemens [cordages], aussi bien que des toiles d’Allemagne pr. [pour] voiles & // si elles sont meilleures marché que celles de France, & des mats de Petersbourg, des fers, cuivres de Russie & de Suède »… Comme suite, le scripteur dénonce la jalousie et la fourberie des compagnies contendantes et leurs commissions d’affacturages aux coûts faibles. Il signale que messieurs Admyrault et Tessier sont protestants et s’enquiert de la santé de son père et sa mère. Une note intéressante : « est-il vrai, mon très cher Père, que mon oncle grou a laissé quatre // millions ? [un montant colossale] je m’attendais qu’au moins une des personnes auxquelles // j’ai écrit à l’occasion de son décès m’aurait dit ‘ je vous remercie de // votre attention ’… mais non. » Aucune réponse à ses lettres de condoléances (cf. supra). In-fine une intéressante note sur la question des colonies anglaises d’Amérique : « Les esprits s’échauffent ici au sujet des amériquains, & je crois // que sous peu il y aura du tapage. Le Lord Chat[h]am a parlé fortement // en leur faveur, ainsi que le Lord Camden, ils ont demandé qu’on s’adressa // au Roi pour annuller tous les actes passés contre eux […]. Le Lord North a apporté les copies des nouvelles reçues de l’amérique… »
Lettre 14
« M.r Desridellieres Leroulx à Nantes… le 7 février 1775
M.r & T. C. P. [Monsieur & Très Cher Père] je dois répondre d’abord à ce qu’il y a de plus intéressant // dans votre lettre du 17 janvier »… L’auteur salue la bienfaisance de M. Tessier à son égard où il travaillera encore douze ou quinze mois et assure à son père qu’il ne négligera rien pour acquérir des connaissances soit dans le commerce, soit dans les sciences. Divers détails sur l’envoi des livres à M. Espivent fils (cf. supra), puis il conseille à son père d’écouler l’indigo français, dont il est surchargé, sur la place de Londres où il fait presque défaut : « ne croyés // vous pas que de forts envois ici de cette marchandise // pourraient en soutenir le prix sur votre place ? » Derechef l’affaire des troubles Bostoniens (colons américains) dans leur désir de se libérer du joug de l’Angleterre et pour clore cette lettre une note en marge : « cette ville-ci [Londres] est pleine de bandits on en a pris 50 à 60 depuis une semaine. »
Lettre 15
« Madame Desridellieres Leroulx à Nantes… le 14 février 1775
M. & T. C. M. [Madame & Très Chère Mère] Si les sentimens que j’ai toujours manifesté // à votre égard, méritent quelque éloge, c’est plus à cause de leur sincérité // que pour toute autre raison »… Une belle missive respectueuse pleine de reconnaissance et d’amour pour sa maman : « … nos cœurs sont continuellement ensemble » ; tendre mère à laquelle il propose d’envoyer une pièce de mousseline imprimée fort à la mode pendant cette période de l’été à Londres. Puis il décrit sa visite au « Panthéon », bâtiments de Londres destinés aux amusements publics (‘The Pantheon’) ayant coûté plus d’un million de livres sterling et pouvant contenir trois à quatre mille personnes. Leroux donne une description précise de ce « temple » (extérieur et intérieur) : « … ce lieu pour lui même est déplaisant, mais le // grand nombre de belles femmes qu’on y voit en fait oublier // fort aisément la laideur. […] mais qu’il m’eut été // bien plus doux d’y rester si ces femmes avaient paru réunir, // à la française, l’esprit et la gaieté à leurs charmans visages ! les anglaises ne sont pas coquettes. C’est là leur moindre défaut. // Si elles plaisent tant mieux, si elles ne plaisent pas tant pis, // tout cela leur est assés indifférent. il est très difficile de lire dans // leurs yeux l’impression de leurs pensées y est trop pauvrement // marquée & leur conversation n’est pas des plus amusantes »… Puis suivent quelques remarques sur les « petits maîtres anglais », une espèce qui se donne beaucoup de mal, non pas pour plaire, mais pour se faire remarquer et qui n'osent rire de peur de déranger leur « frisure ».
Lettre 16
« M.r Desridellieres Leroulx à Nantes… le 24 février 1775
m. & t. c. P. [Monsieur & Très Cher Père]…
Une importante et très intéressante lettre relative à la l’état du commerce de marchandises en provenance d’Inde : « Le commerce de cette place avec la votre n’a jamais // été ci-devant dans un état plus insipide. les chanvres haussent : // les ris se soutiennent aux d.ers [derniers] prix qui vous ont été cottés : & il paraît que les acheteurs d’indigo sont endormis. […] les Négoçians ici qui ont prêtés aux habitans de la grenade [Grenada], dominique [Dominica], & autres isles anglaises n’ont pas fait de brillantes affaires. », et du commerce triangulaire : « êtes vous décidé à ne point armer cette année pour guinée1 ? on écrit // de Bordeaux que les armemens qu’on prépare pour ce pays-là n’auront pas // de succès. depuis quelques années ce traffic tombe en grande décadence. // Mess. [Messieurs] les anglais ne vous contrecarrent-ils points ? si cela était, // le gouvernement devrait bien y mettre ordre. c’est un objet qui en // vaut la peine. J’aurais crû que le bas prix des marchandises // de l’inde aurait encouragé les armateurs pour angole2. ». En conséquence de cela, le scripteur encourage son père à s’engager plus en affaires aux cotés de M. Tessier, l’une des premières maisons de Londres. Puis de précieuses informations sur les événements d’Amérique : « les affaires de l’amérique viennent de changer de la maniere la // plus inattendüe. apparemment que quelques personnages de // l’administration ont eu peur pour leurs têtes. il était très probable // qu’ils les auraient perdu si leurs entreprises contre les amériquains // avaient échoué. […] j’ai entendu dire de plusieurs personnes qui le tenaient // de gens nouvellement arrivés de l’amérique qu’hommes, femmes, // & enfans dans les Provinces alliées & surtout à Boston3 étaient // déterminés à mourir plutôt que de se soumettre à la rigueur // des arrêts faits contre eux, & qu’ils étaient bien plus dans le cas // de soutenir une attaque qu’on le pensait généralement. le courage, le fanatisme & le désespoir réunis à la supériorité du nombre, contre- // balancent sans doute une armée disciplinée qui combat à contre- // cœur, dans un pays ou elle est tout à fait étrangère. // Lord North proposa lundi dernier au Parlement qu’on cassat tous // les actes passés contre les amériquains quelques jours avant on // avaient déclarés rebelles. & qu’on permit de se taxer (sic) elles mêmes aux // provinces qui voudraient reconnaître la suprémacie du Roi & du // Parlement. c’était presque se conformer aux demandes de ces gens-là. » Pour clore cette précieuse missive, l’auteur denonce la corruption d’une grande partie des membres de la Chambre des communes (House of Commons). », et il conclut sur les événements d’Amérique : « voilà donc bien des millions dépensés, bien du fracas, bien du tapage, // & à quoi cela a-t-il servi ? à faire remarquer aux étrangers, que la sagesse & le Désintéressement qui présidaient autrefois au // gouvernement de ce pays-ci ont fait place à la folie, & à la cupidité. // tant pis pour les anglais, tant-mieux pour les amériquains, & tant mieux aussi pour nous. cette affaire pourra bien diminer le parti du Roi. ».
1-2. Les côtes de l’Afrique de l’Ouest jusqu’au golfe du Bénin, pour exploiter l’or de la rivière Gambie et pour extraire les esclaves destinés aux colonies du Nouveau Monde. En descendant le long du Golfe de Guinée, les flottes mercantilistes des commerçants négriers anglais débarquent sur le littoral de la côte dite d’Angole, notamment celle du royaume de Loango « Baie de Loango ». À partir de la seconde moitié du xviie siècle jusqu’au xviiie siècle, ces points d'ancrage devinrent des ports privilégiés par les navires du Royaume-Uni.
3. Campagne de Boston (1774-1776), la première campagne militaire de la guerre d’indépendance des États-Unis.
Lettre 17
« M.r Espivent de La Villesboisnet fils [Pierre-Antoine], à Nantes… le 28 février 1775
Une longue lettre rédigée en anglais
Lettre 18
« Madme Desridellieres Leroulx à Nantes… le 14 mars 1775
Une longue, tendre et affectueuse lettre adressée à sa mère. Leroux y expose les dangers qui guettent la jeune société, les mauvaises fréquentations (on se définit par son entourage). Il veille constamment à modérer ses dépenses et se définit comme être économe malgré le coût très élevé de la vie à Londres : « il n’y a point de ville plus dispendieuse que celle-ci. c’est un vrai gouffre d’argent. ». La lettre se termine par un émouvant témoignage de la violence physique grave infligée aux enfants dans leur instruction. L'auteur se réjouit de savoir son frère benjamin, Joachim, rentrer dans un bon collège à Nantes : « je suppose que ce ne // sera point un Mon.r Cuisiac ou quelqu’autre implacable bourreau de // ce genre qui aura l’avantage de former l’esprit & le caractère doux & // docile de Joachim. J’ai en grande aversion tous ces pédans cracheurs de latin qui trop // sots pour parler raison à des enfans, prennent le parti de se faire // comprendre par les coups, & qui par leurs traitements honteux étouffent // tout sentiment d’honneur dans leurs petits cœurs, & les rendent semblables à des brutes ».
Lettre 19
« M.r John henry Ekins at Bordeaux… 24th march 1775
Une lettre rédigée en anglais
Lettre 20
« M.r Desridellieres Leroulx à Nantes… le 31 mars 1775
m. t. c. P. [Monsieur Très Cher Père] je suis en vérité bien peiné de vous sçavoir tourmenté par la goutte…
Une affectueuse lettre adressée à son père contenant des nouvelles de l’état du commerce ainsi que de précieuses informations sur les incendies de Londres. Le commerce : « il n’y a ici que le commerce des soies qui soit brillant & c’est un // article qu’on ne connaît presque pas chez vous. quant aux indigos, on n’en // voit que peu d’acheteurs. » Un personnage important est cité : « Mr. Godfrey Thornton* a eu la politesse de // m’envoyer le Capitaine de son vaisseau qu’il vous a adressé, pour me demander // si j’avais qque [quelque] chose à vous faire passer. » Londres : « Nous avons eu ici la semaine passée un incendie environ cinquante maisons // ont été brûlées. […] peu de jours avant il y en avait eu un autre // ou il n’y eu que trois maisons réduites en cendres mais dont cinq personnes furent les // malheureuses victimes. ces événemens effrayans sont si communs ici qu’on // s’y accoutumerait si l’humanité n’en souffrait pas autant. » Une drôle de machine : « on a inventé (& ce n’est qu’une invention bien naturelle & aisée) une machine end.ers [en dernier] lieu, // par le moyen de laquelle on peut descendre tout d’un coup du plus haut étage // d’une maison aurés de chaussée. C’est une espèce de fauteuil ou niche qui est // tellement arrangée avec des poids & des poulies qu’elle se tient au niveau de // l’étage ou on veut qu’elle soit placée, & dés qu’on se met dedans on se trouve // emporté en bas par son propre poids sans que ce soit avec une vivacité qui puisse // avoir de mauvais effets… » L’auteur termine sa lettre : « cette ville-ci [Londres] & ses environs deviennent de plus en plus infectés de bandits. »
*Godfrey Thornton fut gouverneur de la Banque d’Angleterre de 1793 à 1795 et un partenaire d'affaires très actif avec M. Desridellieres Leroulx, père de l’auteur.
Lettre 21
« M.r Desridellieres Leroulx à Nantes… le 18 avril 1775
m. t. c. P. [Monsieur Très Cher Père] je n’ai reçu que le 14 cour.t [courant] la lettre que vous avés eu // la complaisance de m’écrire…
Une missive importante. Les relations commerciales de M. Godfrey Thornton et M. Leroux père : les fers de Sibérie, le lin, etc. La demande de chanvre baisse un peu, l’indigo semble vouloir se réveiller : « l’expédition décidée de la flotte espagnole* donnera probablement de la demande a toute sorte de teinturiers. il sera bien que vous vendiés les cuivres aussi promptement que possible. », ainsi que de nouvelles pages précieuses d'informations sur les événements d’Amérique.
*L’expédition d’Alger de 1775, est une tentative majeure de l’Empire espagnol de s’emparer d’Alger, alors capitale de la régence d'Alger. Face à eux la mobilisation arabe est importante et organisée. L’expédition tourne au désastre et se soldera par un cuisant échec face aux troupes menées par le dey d’Alger.
Lettre 22
« Mad.e Desridellieres Leroulx à Nantes… le 18 avril 1775
m. t. c. m. [Madame & Très Chère Mère] s’il était possible que mon amitié pour vous & ma reconnaissance…
L’auteur assiste à un concert qui passe pour être l’un des meilleurs d’Europe. Il n’est composé que de musiciens instrumentistes de permier plan tels que Bach1, Abel, Wilhelm Cramer (violoniste), Johann Fisher (hauboïste), Jacet (?), John Crosdill (violoncelliste). La salle où se donne le concert [Carlisle House] est décorée avec un luxe incroyable. On y trouve les assemblées les plus brillantes qu’on puisse voir en Angleterre. Une société triée sur le volet pour laquelle la souscription (abonnement) aux concerts2 est de dix guinées pour six mois (soit 10 livres sterling et 10 shillings). Un prix très élevé.
1. Au milieu des années 1760, les compositeurs Jean-Chrétien Bach et Carl Friedrich Abel ont l’idée de créer une société de concerts dédiés à l’exécution d’oeuvres contemporaines dont les leurs. Les concerts prennent le nom de « Bach-Abel ». Leur succès est tel qu’ils devront déménager dix ans plus tard dans une maison plus grande sur ‘ King Street ’. Le succès sera continu jusqu’à la mort de Bach en 1782. Ces concerts seront parmi les plus renommés de Londres.
2. En 1765, Bach et Abel sont engagés par Teresa Cornelys, dite l’« Impératrice du plaisir », ancienne soprano reconvertie comme hôtesse. Elle organise des divertissements à ‘ Carlisle House ’ à Soho Square, un lieu très huppé et fréquenté par la haute société, où les deux compères sont chargés d’animer ses concerts.
Lettre 23
« Mademoiselle Flore Desridellieres Leroulx à Nantes… le 18 avril 1775
Ta petite lettre, ma chere petite amie, m’a fait grand plaisir.
Une affectueuse lettre à sa sœur benjamine.
Lettre 24
« M.r Desridellieres Leroulx à Nantes… le 1.er may [17]75
m. t. c. P. [Monsieur Très Cher Père] Depuis que j’ai eu l’honneur de vous écrire…
Le laxisme de la justice anglaise que l’auteur juge trop clémente envers les assassins et voleurs qui ne font que croître dans le pays. Le parlement anglais valide l’envoi de troupes à Boston en Amérique.
Lettre 25
« M.r Desridellieres Leroulx à Nantes… le 19 may 1775
M. & t. c. P. [Monsieur & très cher Père]
Une excursion dans le sud-ouest de l’Angleterre : Oxford – Blenheim – Stow-on-the Wold – Bath – Pembroke – Bristol – Southampton – Portsmouth.
Une très intéressante lettre relatant une excursion dans le sud de l’Angleterre : « Depuis que j’ai eu l’honneur de vous écrire, j’ai fait // une excursion en angletterre que toutes les circonstances ont // concourū[ent] à me rendre agréable. j’avais pour compagnons de // voyage deux messieurs dont l’un est un suisse homme d’esprit, // l’autre est Monsieur Vernede, chef d’une des premières maisons // d’amsterdam. » Départ de Londres le 5 mai du courant mois : « Nous fumes d’abord à Oxford, & à moitié chemin nous nous arrêtames // à diner [c’est-à-dire déjeuner] à une auberge en pleine campagne sur le bord de la Tamise // ou on nous dit qu’on avait 130 cheveaux 14 chaises de Poste 25 // chambres à coucher & 10 à manger pour des gens comme il faut. ' Oxford ' ne subsiste que par l’université ou il y a quinze cens étudians la pluspart des gens de famille & quelques uns dépensent jusques à // £500 par an, y ont des chevaux chiens de chasse &c ». Visite et description de la bibliothèque de ‘ Christ Church ’ sa magnifique collection de peintures et sa chapelle : « elle est petite mais jolie // & remarquable par les belles peintures sur verre qu’on y voit. ils // ont un très beau réfectoire ou nous vîmes les étudians & les maitres // à table servis par des jeunes gens qui sont éduqués nourris & logés pr. [pour] rien, // & dont le nombre est fixé dans le collége1. ». L’auteur compare ‘ Cambridge ’ à ‘ Oxford ’. Le duc de Marlborough, visite du palais de ‘ Blenheim ’ (ample description des bâtiments, jardins et collections) aux 100 domestiques et 60 jardiniers. ‘ Stow ’[-on-the Wold], description d’un séjour dans la maison de campagne de Lord Temple (Lord Richard Grenville-Temple), puis villégiature dans la maison de campagne, près de Bath, de Sir Richard Hoare, banquier (C. Hoare & Co, l’une des premières banques commerciales de l’histoire). Visite chez le comte de Pembrocke, l’une des plus anciennes familles d’Angleterre. « nous avons vu en outre plusieurs des principales villes d’angleterre. Bath // ville fameuse par ses eaux de sources bouillantes bonnes pour beaucoup de // maux […] nous y avons été à une assemblée ou était le // Duc & la Duchesse de Cumberland. Bristol ville remarquable par // son grand commerce à la cote de guinée [commerce triangulaire] (…) j’ai vu derechef ‘ Southampton ’ & ‘ Portsmouth ’, & j’ai réussi à voir les chantiers [navals], // & j’ai été à bord du [HMS] Barfleur2 ou un officier nous combla de politesses, // et nous invita à diner avec lui, de sorte qu’à présent je connais ce // port aussi bien que le Roi. Il y a une académie de 30 jeunes gens fils de // Messieurs, éduqués nourris & habillés aux dépens de la nation… »
1. En 1661, Isaac NEWTON, l’homme qui allait découvrir les lois universelles qui gouvernent le cosmos, entre au ‘ Trinity College ’ à ‘ Cambridge ’, en qualité d’étudiant diplômé ayant reçu une bourse, un subsizar, c’est-à-dire un étudiant-serviteur (pour les maîtres et les étudiants de sang noble ou roturiers qui achètent leurs diplômes) qui doit de plus payer sa nourriture de ses propres deniers.
2.Le HMS Barfleur est un navire de ligne de 2e rang possédant 90 canons. Appartenant à la Royal Navy, il fut conçu par Thomas Slade à partir du HMS Prince, à Chatham et lancé le 30 juillet 1768 au coût de £49,222. Vers 1780, elle reçut 8 canons supplémentaires, ayant par la suite un total de 98 canons. Il pouvait accueillir approximativement 750 matelots.
Lettre 26
« M.r Desridellieres Leroulx à Nantes… le 1er juin 1775
M. & t. c. P. [Monsieur & très cher Père] c’est avec bien du chagrin que j’ai appris que vous aviés été…
L’auteur s’enquiert de l’état de santé de son cher père et lui conseille la reprise du travail « par degrés », ainsi que « prendre de l’exercice » aussi souvent que possible. Une note intéressante sur le commerce : « Les affaires commencent à avoir un peu plus d’activité ; Mons.r Tessier vient d’expédier une cargaison de Riz en Hollande, & y en a expédier une autre. c’est bien dommage que nos paysans ne veulent pas s’habituer à cette nourriture. elle leur couterait moins, et elle ferait aussi bien1… », puis l’auteur conseil à son père le transfert de ses assurances (couverture des risques sur le navire et la cargaison) de la frégate le « Duc de Duras » (devenue le premier navire de la marine américaine), à M. Tessier à Londres. « la guerre est allumée entre l’angleterre & ses colonies. » Trois précieuses pages sur les premiers événements du siège de Boston : « au commencement // d’avril le général gage passant auprès de Boston trouva un grand // nombre d’habitans sous les armes. il leur commanda de les mettre bas, // ce qu’ils refusèrent. Il leur donna un quart d’heure p.r [pour] se déterminer // en leur disant que s’ils n’obéissaient pas, il ferait faire feu sur // eux. Les chefs se consulterent, & pour toute réponse – faites feu // si vous osés, & soyés damné ! au signal du général gage les soldats // tirèrent sur les habitans qui ressentirent vivement l’injure ; ils // tombérent sur Messieurs les gens du Roi, & les mirent en fuite, // & comme ils étaient obligés de passer à travers Boston p.r [pour] retourner // à leur camp, on en fit grand carnage. jusqu’aux femmes // tiraient sur eux par les fenêtres & leur jettaient des pierres &c // les soldats enrevanche ont mis le feu à plusieurs maisons. // voilà ou les affaires de l’amérique en sont. je tiens ce détail // du beaupere de l’Evéque de londres qui le sçait du général Hutchinson // qui a deux fils à Boston. » [En juin 1775, les Britanniques sortirent vainqueurs de la bataille de ‘ Bunker Hill ’ mais ils subirent de lourdes pertes et n’eurent pas suffisamment de moyens pour briser le siège, et jusqu'à la fin].
1. Rappelons que l’année 1774 a connu un hiver de froid extrême et une récolte médiocre des céréales. Le peuple avait faim et pour beaucoup c’était la famine. Avril-mai 1775 : « guerre des Farines ». Une vague d’émeutes populaires s’étend rapidement dans la moitié nord du royaume. Elle est provoquée par la flambée des prix du pain consécutive à la mauvaise récolte de 1774 et aggravée par la liberté du commerce des grains décrétée par Turgot (édit du 13 septembre 1774). Signe avant-coureur de la Révolution, ces émeutes seront finalement enrayées par l’intervention massive des soldats du roi.
2. L’assurance maritime est un contrat par lequel un particulier ou une compagnie promet à celui qui a un intérêt dans un vaisseau ou dans son chargement, de le garantir de toutes les pertes et dommages qui arriveront par cas fortuit et fortune de mer, au navire et au chargement, pendant le voyage, ou durant le temps des risques, moyennant une somme qui doit lui être payée par l'assuré.
Lettre 27
« M.r Espivent de La Villesboisnet fils [Pierre-Antoine], à Nantes… le 6 juin 1775
Une longue lettre rédigée en anglais relative au siège de Boston.
Lettre 28
« M.r Desridellieres Leroulx à Nantes… le 20 juin 1775
[…]
Année 1776 : Une grande année révolutionnaire pour l'Amérique de Thomas Jefferson, un peu moins heureuse pour l'Angleterre de George III.
JOURNAL DE MON VOYAGE D’ÉCOSSE
Journal d’un voyage en Écosse occupant soixante-six pages d’anecdotes, de traits de caractères et d’observations d'un jeune voyageur français.
Nous nous bornerons à reproduire ici ses notes, ses observations sur le vif, écrites pour ainsi dire sous la dictée des événements, afin de donner un récit circonstancié et plus exact de ce journal intime relatant un voyage au grand air des « Hautes-Terres » de la Grande-Bretagne.
L’auteur a voyagé à la première pointe de l'automne dans les mois de septembre et octobre1 1775, en qualité de simple touriste qui relate fidèlement l’histoire de ses excusions et les impressions vives et profondes de sa course, rapide mais complète. À l’aventure, on se déplace en chaise de poste (voiture hippomobile) à la recherche d’impressions nouvelles dans les landes brumeuses ou dans le profond des hautes montagnes. On rencontre les fameux montagnards, grands gaillards ou les propriétaires industrieux qui ont figure d’honnêtes gens. On gîte chez les négociants locaux ou dans d’insalubres auberges. Les ‘ Lowlands ’ anglophones et fortement industrialisés ainsi que les ‘ Highlands ’ gaéliques et agricoles sont parcourues et décrits en leurs principales villes (centres et périphéries).
Rappelons qu'il n'existe aucun renseignement de première main sur l’Écosse contemporaine qui soit digne de confiance, de vagues indications seulement d’une curiosité concernant la vie ancienne et moderne.
1. Folio recto du dernier feuillet. L'année n'est pas précisée mais l'auteur nous livre l'information nécessaire pour préciser l'annuité dans une missive adressée à M. Barthélemy-Jacques Vernède [1721-1790] à Amsterdam, le 19 mars 1776.
Présentation & zone de contexte
« 1770. Un quart de siècle s’est écoulé depuis la deuxième tentative infructueuse des Stuart pour rétablir leur règne en Écosse. Entre l’Angleterre et le bas pays de l’Écosse, les relations commerciales et intellectuelles interrompues par ces guerres civiles se sont vite renouées. […] Les riches et les érudits du pays plat font le voyage de Londres et du continent, lient connaissance avec les célébrités de la métropole et de l’étranger, mais peu de voyageurs sont tentés à cette époque par l’hospitalité écossaise. » (Cf. Margaret BAIN).
A priori, le pays est ingrat dans cette « North Britain ». Le peu d’intérêt qu’offre cette terre inconnue aux côtes hachées par l'océan, montueuse en partie, venteuse et désertique, scintillante de lochs brumeux couleur acier, où des chemins cahotants gris et caillouteux serpentent dans la pierraille, où la diligence pour Édimbourg, ville médiévale nichée dans un paysage rocheux et vallonné, part une fois tous les quinze jours de Londres, et n’arrive qu’au bout de dix jours ; où ' Glasgow ' aux rues boueuses, puante et noire, est encore à douze heures d’Édimbourg, sa grande rivale, et où, aucune ' mail-coach ' ne va plus loin vers le nord que ' Stirling ', n’encourage en aucune façon le voyageur anglais à diriger ses pas vers l’Écosse ou l’anglomane français qui la néglige totalement, se limitant presque toujours à la visite de Londres et à quelques escapades dans les environs.
L’Écosse des élites littéraires et savantes, aux idéaux progressistes, pourtant, n’est point négligeable à cette date (il convient de souligner que la noblesse et l'aristocratie, sociétés d'oisifs fortunés, y ont peu ou prou contribué) et aide beaucoup à comprendre ce peuple écossais et son caractère sérieux. Parmi les plus brillants de leur génération dans cette constellation d'intellectuels citons : Henry Graham, Robertson, les physiocrates David Hume et Adam Smith1, James Boswell, le Docteur Blair, le Docteur Cullen, Black, professeur de chimie, John Home, auteur de la tragédie « Douglas »…, sont lus et étudiés en Europe continentale, mais cette brillante société, l'Édimbourg2 des Lumières, capitale politique, cette culture singulière qui a joué un rôle prépondérant dans le progrès des sciences, des lettres et des arts attire étonnamment peu. C’est à Londres et à Paris, le centre de la vie littéraire, artistique au dix-huitième siècle, où l’on fait cause commune aux débats éclairés son temps. La curiosité à l’égard de l’Écosse, ce monde à part, ne s’éveillera qu’après 1770, lorsque la montagne séduira les premiers voyageurs alpinistes qui rendront visite à ses cités, à ses lacs et à ses îles.
Enfin, pour résumer, la position de la France et de l’Angleterre, vis-à-vis de l'identité écossaise en 1770 : L’Angleterre conserve une certaine méfiance politique et sociale (legs des guerres civiles), la France, un reste d’intérêt bienveillant pour l’ancienne alliée contre l’ennemie commune, l’Angleterre (la Vieille Alliance a uni les deux royaumes pendant près de trois siècles [1295-1603]. Elle s’est distendue quand l’Écosse décida de partager son trône avec l'État britannique).
Notons également que depuis l’Acte d’Union de 1707, la fin de l'indépendance écossaise scellée et l’avènement de la Grande-Bretagne, les Écossais ont constitué un réseau impérial à la fois marchand, financier, intellectuel et militaire tout à fait remarquable.
1. En 1776, le philosophe et économiste Adam Smith avait choqué le monde en proposant au gouvernement de laisser les gens libres d’acheter et de vendre entre eux. Il faut « laisser faire, laisser passer » et supprimer toutes les barrières douanières (l’école physiocratique, première grande école économique qui s’est développée en France au XVIIIe siècle avec pour maître à penser, François Quesnay [1694-1774]). L'analyse dominante inspirée par les réflexions d'Adam Smith puis celles de David Ricardo, faisait dépendre le prix d’un bien de la quantité de travail nécessaire pour le produire, Jevons, Menger et Walras au XIXe siècle parviennent, presque simultanément et indépendamment les uns des autres, à la conclusion selon laquelle c’est, en réalité, l’utilité qu’apporte un bien qui donne de la valeur à ce dernier.
2. Son activité intellectuelle et industrieuse lui a valu un surnom éloquent : la Nouvelle-Athènes ou l'Athènes du Nord.
L’itinéraire peut être ainsi reconstitué :
LOWLANDS : Berwick – Ayton – Haddington – Édimbourg – Queensferry – Bo’ness – Falkirk – Carron – Glascow – Paisley – Dumbarton – Loch Lomond – Inveraray – Kilmarnock – Ayr – Sanquhar – Drumlanrig – Dumfries – Carlisle.
Point de départ du Tour, le comté de l’East Lothian, la ville de [North] ‘ Berwick ’. Une ville qui forme un petit état dont le gouvernement lui est particulier. Située sur la rivière la ‘ Tweed ’, elle possède des restes de fortifications, de bonnes casernes (« il y avait en août 75 400 soldats invalides… »), un gouverneur et un sous-gouverneur. Les anciennes murailles font encore le tour de la ville mal bâtie, pauvre, où il y demeure peu de gens « comme il faut », il n’y a point de bonnes auberges et les routes sont affreuses. Leroux note : « on est étonné surtout en sortant de l’angleterre du changement parmi les femmes. à Berwick, elles sont laides, grossières, marchent pied nus, ont des os gros comme des hommes. ». Notre jeune Boswell quitte les paysages de la ‘ Tweed ’ et arrive au village ‘ d’Ayton ’ chez M. Fordyce, receveur général d’Écosse, un important gentleman-farmer auprès duquel il est recommandé. Puis il se rend à la petite ville de ‘ Dunbar ’, ville n’ayant qu’une rue fort longue et large, de veilles maisons mal bâties et pas une bonne auberge. La ville fait un commerce de harengs, morues et baleines pour laquelle elle a peu de vaisseaux. On y fait de la contrebande : « on y peut boire du vin de Bordeaux pour 3 £ la bouteille, aussi bon que pour 5 £ en angleterre »… Leroux reprend la route pour ‘ Haddington ’ (« 7 à 8 mille habitans. »). Les chemins sont passables et la campagne assez bien cultivée. Il y a quelques belles maisons (seigneuries) situées à peu de distance de la mer, la place du marché n’est pas laide et une excellente et grande auberge où l’on a de très bons chevaux et chaises de postes (« celle que j’eus à Berwick était la plus vilaine & la plus mauvaise que j’aie vu de ma vie. »). Les environs sont jolis, il y passe une petite rivière, il y a une vieille cathédrale en ruine. « d’Haddington je partis pour Edimburgh. la campagne plus peuplée & plus riante m’annoncait bien que j’approchais de la capitale »… L’estuaire de ‘ Forth ’ navigable jusqu’à ‘ Leith ’(actuellement un quartier d’Édimbourg) où l’on y pratique fréquemment des parties de plaisir en bateau. Il y a un grand nombre de mine de charbon (préféré à celui d’Angleterre), « … le prix en baissera, on ouvre tous les jours de nouvelles mines en Écosse, beaucoup à proximité de la mer, les frais de transport en sont bien modiques ; d’ailleurs les ouvriers y travaillent à meilleur marché. », « Cette ville est après Londres [Édimbourg] la plus peuplée de la grande Bretagne. elle contient 50 mille habitans. On y voit des maisons qui ont d’un côté sept étages, & de l’autre quatorze & dans chacun de ces étages il demeure une famille qui pour.t [pourtant] ne connait ni celles du dessus ni celles du dessous. les escaliers de ces maisons sont fort obscures & étroits, tous les matins avant déjeuner ils sont parfumés d’exalaisons excrémentaires. faute de lieux plus commodes, on descend tous les jours les ordures d’un chacun dans les ruës de la vieille ville, de sorte que jusqu’à midi on n’y peut marcher sans être suffoqué. Autrefois c’était bien pis, on les jettait par la fenêtre. à présent ceux qui le feraient payeraient une grosse amende. à neuf heures des chariots font la ronde p.r [pour] ramasser le tout. »… Ample description du la ‘ new-Edinburg ’ : les rues larges et silencieuses sont en petit nombre, de beaux bâtiments (' register-house ', théâtre), de riches boutiques… une ville neuve aussi bien éclairée que Londres. Ville d’université, de philosophie, de haute culture campée sur son promontoire au milieu des collines : « je dinai à une table bien servie chés un mons.r Moncrieff à qui j’étais recommandé… », suivi d’un concert privé. « …ce même ami de Moncrieff m’aurait fait faire connaissance avec Robinson & Hume, […] si j’étais resté plus longtemps à Edinburg. cette ville est fameuse pour les gens [de] sciençés qu’elle contient. On regarde son collège de médecine comme un des meilleurs de l’Europe, […] il y a aussi de bons anatomistes [description de l’amphithéâtre où se pratique la dissection à l’hôpital (200 malades), Lord Provost en est le premier directeur]… » Description détaillée des huit hôpitaux de la ville (1 000 adultes et enfants dans les hospices et orphelinats). Le fameux château d’Edinbourg qui domine la glorieuse cité. Le palais de Holyrood. Le Duc d’Hamilton. Les fiacres libres en attente dans les rues (une nouveauté), le logement. L’auteur paye cinq shillings par jour pour une chambre à coucher plus une pièce à vivre. Il aurait payé une demi-guinée en hiver parce qu’il y vient du monde (c’est-à-dire le double). Les deux principales cours d’Écosse siègent à Édinbourg (description des juges). Banques et monnaies. Le commerce des toiles pour le linge, voiles et cordages. Une remarque intéressante du scripteur : « … c’est la ville de la grande Bretagne aprés Londres, ou il en coute le plus cher pour vivre. C’est aussi la plus débauchée après Londres & ce n’est pas étonnant considérant le nombre de gens riches qui y demeurent pendant un certain temps de l’année sans avoir rien autre à faire que de penser à leurs plaisirs. »… ‘ Queensferry, séjours chez Lord Hopeton. La campagne immédiate et silencieuse. Départ vers le nord-ouest de l’Écosse. ‘ Boroughstenness ’ ( Bo’ness), vilain et pauvre bourg noirci où l’on fait du sel en faisant bouillir de l’eau de mer. Dîner [c’est-à-dire déjeuner] à ‘ Falkirk ’ pauvre ville, mais la campagne est agréable. ‘ Carron ’, idem, une nuitée puis visite de la plus grande forge (haut fourneau) de la Grande-Bretagne (exploitation du minerai de fer). Leroux est reçu par les directeurs MM. Gascoigne et Lows sur une lettre de recommandation de M. Tessier. Une très intéressante description du fonctionnement et de la production de la forge (700 ouvriers employés. Les chariots remplis de charbon sont déjà sur rails de fer !). Départ pour ' Glascow '. Les chemins sont agréables, la campagne est belle et mieux cultivée. ‘ Glascow ’ (ample description) est une très jolie ville bâtie en pierre de taille et bien éclairée. Les habitants sont des négociants forts industrieux. Le commerce de cette place se fait avec l’Amérique et l’Angleterre (riz, café, sucre, coton en retour produits de la pêche à la baleine). Visite d’une filature moderne de coton. Le jeune Leroux est reçu par MM. Oswald & Co (fondateurs) toujours sur une lettre de recommandation de M. Tessier. Visite en compagnie de M. Oswald des marchés à viande, légumes et poissons. S’ensuit la visite de la ville : « je fus ensuite voir les laveuses sur une prairie auprès de la ville. elles y étaient par centaines. elles mettent leur linge dans des tubes pleins d’eau froide & elles le foulent avec leurs pieds. p.r [pour] ne pas mouiller leur hardes, elles quittent leurs cottillons [jupons] & retroussent leur chemise jusqu’au haut des cuisses, ayant une de leurs mains sur ____ [bout-de-ligne] … elles ne connaissent guére la pudeur. cette manière de laver est générale en Écosse. » Remarques sur l’université de la ville : « il y a a glascow une très bonne université. beaucoup d’anglais y envoyent leurs enfants. Il y a 300 étudians qui y sont tenus très strictement, quoiqu’ils ne demeurent pas sous les yeux de leurs maitres. dans toutes les universités d’Écosse (il y en a quatre) on ne va au collége que pour y étudier. chaque étudiant a ses logemens particuliers dans qqūe [quelque] partie de la ville qu’il veut. On y travail plus, on y est plus assidu, & pas aussi dissipé que dans celles d’angleterre. ». Une note sur les élèves artistes qui forment une société ainsi que sur les collections de peintures de l’université de ‘ Glascow ’. En outre, les collèges ont peu de revenus. Arrivée à ‘ Paisley ’, un grand bourg où se trouve, depuis peu de temps, de nombreuses manufactures de gaze de coton (tissu uni ou couleur ou Joie [représentation végétale abstraite aux couleurs vives]), puis c’est la ville de ‘ Dumbarton ’, capitale du comté. Agriculture forcée sur des terrains stériles et commerce at all cost. Le château de ‘ Dumbarton ’. Découverte pour l’auteur de la beauté stupéfiante des hautes montagnes et des ‘ Highlands ’ gaéliques. Déjeuner dans une auberge au bord d’un lac. Notre jeune voyageur ne mange pas avec plaisir la viande de mouton (l’aubergiste lui en consomme deux par semaine dans sa famille composée de 8 à 10 personnes). Les rares fermiers ou éleveurs des montagnes. Observations sur les conditions de vie très pénibles de ces gens qui vivent sous un système foncier féodal : « … ce pain de ce bled est la nouritture des pauvres habitans de ces lieux. ce n’est pas proprement du pain. C’est du gateau de la farine & son de l’avoine tout ensemble bouillis & séchés, non pas mis au four. cela couterait trop. », mais encore une intéressante description de la tenue vestimentaire des montagnards : « les montagnards ne port.t [portent] point de culotes. ils ont des petits cotillons qui leur vont jusqu’aux genoux, & des bas attachés au dessous de genou [le kilt écossais] faits d’un morceau d’étoffe fort grossiere et de diff.s [différentes] couleurs… ». Férocité et brutalité des montagnards. Guerre des clans, clans nommés du nom de leurs chefs ; membres nommés du nom de leurs clans. Leur dialecte. Départ pour ‘ Loch Lomond ’, ses belles rives et ses îles (propriétés du chevalier Celquuhn ?), de belles maisons sur les bords ainsi que plusieurs carrières d’ardoises : « les ouvriers y gagnent 9.d ft [le penny de bronze prend comme symbole le « d » pour denarius romain] ou 18.s [sol ou sous français*] par jour [ouvré]. Ils afferment [affermer. louer un bien rural] leurs maisons à une guinée par an. ils n’ont pas la gaieté qu’on trouve dans les ouvriers français. ». Impressions sur les écossais : « … quantité de montagnards desertent continuellement p.r [pour] aller en Amérique ; les écossais d’un plus haut rang vienn.t [viennent] en angleterre, & ils y font mieux leurs affaires que les anglais même. ils sont intriguans, industrieux, souples, polis, & ils réussiss.t [réussissent] très bien dans la politique, d’ailleurs ils aiment à s’entraider ; ils se dis.t [disent] tous parens les uns des autres. […] ils ont plus de bonnes places sous le gouvernement que les anglais qui en sont fort jaloux. » et les écossaises : « … quant aux femmes, elles joignent à une laideur affreuse, la grossiereté & l’impudence la plus insupportable, & ce n’est pas étonnant, ce sont elles qui font presque tout le travail ; elles bêchent, elles ménent les charrettes, chariots, tandis que les hommes rest.t [restent] non chalamnent à la maison, aussi elles sont d’une force étonnante p.r [pour] des femmes, elles font des enfans tous les ans, les villes & villages sont comme des fourmilleres. elles ont des os plus gros que des hommes. » Le voyage continue pour la ville ‘ d'Inveraray ’ dans le comté ‘ d'Argyll ’. Situation élevée du château situé au nord de la ville (description et aménagements des bâtiments, les jardins, les bois et les immenses terrains appartenant au seigneur). La pêche (très rentables) du hareng. Dernière étape du voyage : « j’aurais avancé plus avant dans le nord si la saison n’avait pas été si avancée. […] je m’en retourne donc par le même chemin à glascow & de là à Port glascow où je prends une chaise de poste à 4 chevaux pour me rendre à ‘ Ayr ’ […] je suis obligé de m’arrêter à minuit à ‘ Kilmarnock ’ après avoir été pendant 3 heures égaré au milieu d’un pays presqu’inhabité. »… ‘ Ayr ’ est une vilaine ville, elle exerce le commerce de la pêche avec l’Amérique. Il y a une raffinerie. L’auteur dîne et couche chez le baron Adam Fergusson, représentant du parlement du comté ‘ d'Ayr ’ (Adam Fergusson, philosophe et historien, membre du mouvement dit des « Lumières écossaises »). …« c’est un homme fort instruit, fort assidu au Parlement ou il se fait respecter. Ce qu’il dit est bien jugé & en peu de mots. Il est fort poli. Il vit grandement sur sa terre […] je fus de là coucher à ‘ Sanquhar ’ dont je n’ai rien à dire. Je me rendis ensuite à ‘ Dumfries ’ située sur la rivière Nith. Avant d’y arriver je m’arrêter à ‘ Drumlanrig ’ ». Le château de Drumlanrig, propriété du duc de Queensberry (description et aménagements des bâtiments et des jardins), puis route pour Dumfries, une jolie petite ville bâtie en brique. « de ‘ Dumfries ’ je me rendis à ‘ Carlisle ’ [et fin]. ». L’auteur conclut son Journal en faisant l’éloge panégyrique de la nation écossaise : « l’Écosse a fait plus de progrés qu’aucun autre pays d’Europe depuis la réunion, ou du moins depuis sa rébellion en 1744 vers la perfection des arts, sciences, commerce & agriculture. c’était avant un pays de brutes, à présent il en reste peu qui mérite cette dénomination, on y trouve des hommes, & de grands hommes surtout pour la littérature. il y en avait bien avant, mais c’était en si petit nombre qu’on n’y fait attention que pour mieux apperçevoir la brutalité des autres. Il y a 4 bonnes universités dans ce pays. […] je crois que le peu de pouvoir de leurs prêtres contribuëra leur avancement, ou du moins ne l’arrêtera pas. ils vivent tous sur des pensions congruës. ils n’ont point de dixmes. Il n’y a parmi eux, ni évêques, ni chanoines & la médiocrité de leurs pensions les obligeant à vivre frugalement, ils donnent un meilleur exemple que le Ecclésiastiques anglais & français. ».
In fine du manuscrit (folio verso du dernier feuillet) remarquons cette étonnante information que nous livre l’auteur en dernière ligne, quelques mots laconiques : « je n’ai rien à dire de Goodchild. je ne voulais pas être seul, je ne pus le déterminer à venir en Écosse qu’en payant moi seul les frais de ce voyage. Je ne l’ai point pris p.r [pour] un savant, ainsi je n’ai pas été trompé. »
Ainsi s’achève le récit du voyage en Écosse de Charles Leroux de Commequiers.
*En France, un ouvrier agricole ou un ouvrier de production gagne 20 solz par jour ouvré. La miche de pain noir, nourriture de base de la petite plèbe, de deux livres et demie (mesure de masse), coûte 7 solz. – 1 livre tournois = 20 sous ou solz = 240 deniers. – En nous basant sur l'ouvrage de Thomas De Bréville, Le Banquier et Négociant Universel ou Traité Général des Changes Étrangers…, Nouvelle édition augmentée, Paris, 1767 : 1 livre sterling = 22 livres tournois, 10 solz [ou sous] ; et 1 shilling = 1 livre tournois, 2 solz [ou sous].
Ce que les rares voyageurs anglais ou étrangers virent en cette seconde moitié du XVIIIe siècle lors de leurs séjours dans ces régions sauvages et accidentées, qu’étaient encore les Hautes-Terres et les îles Hébrides, ne fut souvent que les derniers bouleversements d’une société traditionnelle, féodale où sa structure hiérarchique (hommes farouches du clan et leur chef) reposait de moins en moins, à l'aube des « Lumières », sur les fondements ancestraux hérités des ancêtres « barbares » des Européens, les Celtes, Germains et Vikings.
BIBLIOGRAPHIE ET HISTORIOGRAPHIE
Sources imprimées
– Serge DAGET, Répertoire des expéditions négrières française à la traite illégale, Nantes, Centre de recherche sur l'histoire du monde atlantique, 1988.
Par l'un des plus éminents spécialistes français de la traite Atlantique des Noirs et l'un des meilleurs spécialistes mondiaux.
– Gaston MARTIN, Nantes au XVIIIe siècle. L’ère des négriers (1714-1774) d’après des documents inédits, Paris, Librairie Félix Alcan, 1931.
L’ouvrage le plus important, richement documenté qui, jusqu’ici, ait été écrit sur la traite négrière en France. Il ne concerne que le port de Nantes, mais celui-ci pendant la plus grande partie du XVIIIe siècle, l’emporte, à cet égard, sur les autres villes martimes du royaume.
Depuis que, en 1931, Gaston MARTIN a listé les principales sources de l’histoire de la traite négrière, celles-ci ont donné lieu à une exploitation historique de plus en plus importante, avec des ouvrages devenus de référence comme celui du Père Rinchon en 1938 ou le répertoire incontournable de Jean Mettas quarante années plus tard.
– Jean METTAS (1941-1975), Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle, 2 volumes, tome I (Nantes), Paris, Société Française d'Histoire d'Outre-Mer, Lebrairie Orientaliste Paul Geuthner, 1878.
Une importante documentation analysée et synthétisée par le spécialiste de traite négrière française, Serge DAGET et par l'éminent conservateur de la Bibliothèque Mazarine et africaniste, Jean-Claude NARDIN. Le précieux fichier Jean METTAS a permis un progrès sans précédent dans la connaissance de la traite négrière française.
– Jean MEYER, La Famille des Grou, Fontenay-Le-Comte, Imprimerie Lussaud Frères, 1962.
– Jean MEYER, L’armement nantais dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Paris, S. E. V. P. E. N., 1969.
Par la rigueur de la méthode, le sens des nuances, la subtilité d’esprit avec laquelle a été exploitée une masse documentaire, par la clarté de l’exposé et avec d’aussi riches analyses, l’ouvrage mérite de faire école.
– Bernard MICHON, Le Port de Nantes au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaire de Rennes, 2011.
Une excellente étude qui constitue un précieux apport à la connaissance de l’histoire maritime de Nantes et du littoral atlantique au XVIIIe siècle.
– Tessa Violet Murdoch, [publié par] Museum of London, 1985, The Quiete Conquest : The Huguenots 1685-1985, "A Museum of London exhibition in association with the Huguenot Society of London 15 May to 31 October 1985.")
Signalons également que Charles LEROUX DE COMMEQUIERS est l'auteur d'une brochure intitulée : Ételgide, Nantes, Imprimerie Mellinet-Malassis, 1830, in-8°, 21 pages, (une édition à compte d'auteur). Réf. : NANTES BM, cote 64445.
Quelques ouvrages à consulter :
[Journal de voyage] Les deux références essentielles à la compréhension du sujet :
– Margaret I. BAIN, Les Voyageurs Français en Écosse 1770-1830 et leurs curiosités intellectuelles, Paris Librairie Ancienne Honoré Champion, 1931.
– Michel DUCHEIN, Histoire de l'Écosse, Paris, Fayard, 1998.
– Marie-Hélène THÉVENOT-TOTEMS, La Découverte de l’Écosse au 18e siècle à travers les récits des voyageurs britanniques, Thèse, Université Lille III, 1990.